Swissness
18 janvier 2022

Pilatus Aircraft – Une histoire dans les airs helvétiques

par Eugénie Rousak


L’histoire et l’origine de l’avion suisse: Pilatus Aircraft

En plein cœur de la Suisse, le mont Pilatus est l’épicentre lucernois de légendes et croyances. Considéré comme maudit, il a été interdit d’accès des siècles durant pour protéger les lucernois des colères de Ponce Pilate, dont le corps et l’âme reposeraient au fond d’un lac alpin. Finalement, le sort a été brisé par un courageux pasteur au XVIe siècle. Une autre légende prônerait la présence de dragons. Ils auraient fait leur nid sur les rochers du sommet à pics à plus de 2000 mètres d’altitude, devenant le symbole des lieux. Mais l’histoire de ce volet de la série Swissness ne portera sur aucun des deux. Une autre espèce volante s’est installée entre le Pilatus et le lac des Quatre-Cantons. Un peu moins mystique, mais tout aussi gracieuse et envoutante. C’est l’histoire du plus suisse des avionneurs au nom fidèle à ses origines, Pilatus Aircraft.

Teinté de l’héritage helvétique aux notes de kérosène et de soufre, le concepteur, producteur et vendeur d’avions Pilatus Aircraft est indéniablement l’un des joyaux de l’industrie suisse. En 80 ans d’existence, il s’est également positionné en force au niveau mondial. Fleuron incontesté de l’aéronautique internationale, l’enseigne aux multiples hélices donne aujourd’hui le ton, porté par son avant-gardisme et son savoir-faire. Aviation d’affaire, d’entrainement et de transport, tout est possible. Pourtant, un avenir doré était loin d’être promis à cette petite manufacture perdue au milieu de la Suisse centrale. Ecrasée par la réputation du massif éponyme, elle a réussi à sortir de l’ombre de son nom.

Stans, Nidwald, Suisse

Stans ©My Switzerland

Si en 2020 l’aviation militaire, surtout concentrée sur les avions d’entraînement et de transport, ne représente que 25% des ventes et 28% des employés par rapport à l’aviation civile, en 1939 la situation était toute autre. Nous sommes le 16 décembre dans une salle de conférence de la Nidwaldner Kantonalbank. C’est le jour de la création de Pilatus Aircraft, porté par trois acteurs. D’un côté, la société Elektrobank AG, rebaptisée Elektrowatt en 1946, dont les activités se concentraient sur le financement et le développement des entreprises d’électricité. D’un autre, l’industriel germano-suisse Emil Georg Bührle et le marchand d’armes autrichien Anton Gazda. Leurs destins sont déjà liés par la Werkzeugmaschinenfabrik Oerlikon-Bührle & Co (Fabrique de machines-outils Oerlikon-Bührle). Le premier en est le directeur et le second en est l’ingénieur. D’ailleurs pour avoir une vision plus globale, celle qui deviendra Oerlikon-Bührle Holding en 1964 détenait également le fabricant de chaussures Bally, avant de le céder en 1999 à Texas Pacific Group. Mais c’est une autre histoire, dont nous avons déjà parlé (à lire: Bally, quand Swiss et Made font la paire). Revenons en 1939.

A l’origine, l’entreprise de Stans a été fondée dans l’objectif de moderniser l’industrie aéronautique helvétique, travaillant en collaboration avec l’armée de l’air Suisse. Gardons à l’esprit l’année de sa fondation, l’air n’était pas très calme au-dessus de l’Europe à ce moment-là. D’ailleurs, pour marquer l’inauguration officielle en 1942, même le général Henri Guisan fera le déplacement. Le ton est donné.

Les 80 ans en loopings

Malgré les compétences rassemblées autour de ce projet naissant, le premier prototype de Pilatus Aircraft est un échec cuisant qui n’a même pas frôlé la piste d’atterrissage. Le P-1, avion d’entraînement monoplace pour l’armée suisse, est resté un « oiseau sur papier ». Mais le constructeur finira quand même par prendre son envol avec un autre drôle d’oiseau, le Pelikan. Le SB-2 Pelikan a transpercé les airs en 1944 pour la première fois. Très maniable, il était spécialement conçu pour se faufiler dans le paysage rocheux et serré de son pays d’origine. S’il ne propulse pas la manufacture sur le vent de la gloire, il donne une piste de départ pour la stratégie future, si bien respectée par sa tour de contrôle : concevoir des appareils facilement manœuvrables pour un plaisir de vol, tout en réduisant les coûts. Mais continuons chronologiquement.

SB-2 Pelikan ©Pilatus Aircraft

Le véritable premier tremplin durable ne se fera pas attendre et se dévoilera sous les noms de P-2 et P-3, tous deux sont des modèles d’entraînement pour l’armée de l’air suisse. Ce succès qui s’internationalise (et oui, le P-3 va même s’exporter), se confirmera définitivement en 1959 avec un autre modèle phare de l’avionneur, le Pilatus Porter PC-6. Une véritable légende ! Suivi par son successeur, le PC-6 Turbo Porter, il a été fabriqué sans interruption jusqu’en 2019, écrivant ainsi l’une des histoires de production les plus longues dans cette industrie ! Mais comment une telle longévité est-elle possible ? Polyvalence de l’utilisation et un monomoteur turbopropulseur. Allons dans l’ordre. Premièrement, il peut être militaire ou civil. Deuxièmement, il se distingue par ses références STOL (Short Take-off & Landings), autrement dit une distance de décollage et d’atterrissage très courte ! 475 et 315 mètres respectivement pour parler chiffres. Solidement posé sur cette réputation mondiale au nombre 6, Pilatus Aircraft continue ses recherches tant en termes de performance que d’innovations techniques, poussant à chaque nouveau modèle plus loin les possibilités des avions de petite taille. Rien qu’à regarder le succès des années 90, le Pilatus PC-12 capable d’atterrir sur plus de terrains difficiles en un minimum de distance ! Dans cette niche d’aviation civile et d’entrainement et haute qualité, Pilatus a le vent en poupe ! Rien ne l’arrête ?

P-2, P-3 & Pilatus Porter PC-6 ©Pilatus Aircraft

Malgré ses principes de fiabilité et de qualité suisse, le fleuron de l’aéronautique s’est plusieurs fois retrouvé au cœur de scandales, notamment à cause de détournement de l’utilisation de ses bijoux aérodynamique pour une exploitation lors de conflits militaires. Les exemples récurrents font de plus en plus les unes de la presse et la situation prend une telle ampleur, que le peuple suisse est appelé aux urnes. L’initiative « Pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre » est rejetée. Affaire classée. Pilatus Aircraft souffle.

Fin de l’ère Schwenk et début de Hansueli Loosli

Alors qu’il a pris les rênes de l’avionneur en plein conflit, Oscar Schwenk a su conduire la flotte de Pilatus Aircraft dans deux loopings de taille. Le premier tournant était celui de la « civilisation » de l’entreprise avec une focalisation sur l’aviation d’affaire. Le second est une réorganisation des actionnaires avec une décision de ne se concentrer que sur la fabrication d’avions. Fini les sous-traitances et dispersions à Stans ! L’avion revient au cœur du sujet. Ce revirement de situation a été plus que bénéfique, puisque l’entreprise a pu se focaliser sur de nouveaux modèles. D’ailleurs, parlons de celui qui est devenu sa nouvelle prouesse technologique : le PC-24 ! Capable de transporter jusqu’à 10 passagers, il peut atterrir sur pistes non préparées et, conformément à l’ADN du fabricant, a des références STOL particulièrement poussées. Alors quelle est sa différence avec les modèles antécédents ? Ce n’est pas un avion à turbo-propulseur, mais un jet. Le premier de Pilatus Aircraft !

PC-24 ©Pilatus Aircraft

Avec 300 ingénieurs sur plus de 2200 employés, l’avionneur s’est définitivement posé sur la piste de High-Tech, implémentant de nombreux outils comme des systèmes de prototypage avionique virtuel, les impressions 3D ou encore la production de la fibre de carbone haut de gamme pour concevoir ses oiseaux en métal. Le tout dans une optique à la fois d’efficacité énergétique et de réductions des émissions sonores pour être en accord avec son temps. Côté construction, les compétences de pointe se combinent à une longue expérience également. Concrètement, 14 à 16 mois sont nécessaires pour fabriquer un avion, 129 ont pu être réalisés en 2020. Spoiler : le PC-12 est majoritaire, suivi par le PC-24 !

Ainsi, Oscar Schwenk a su prendre un tournant, qui a permis à l’entreprise de traverser la turbulence de la pandémie avec la cabine bien levée ! Cet ingénieur en aérodynamique d’origine lucernoise a depuis peu passé le manche à Hansueli Loosli pour la suite du voyage.

Siège Pilatus à Stans & Construction d’un avion ©Pilatus Aircraft

Avec le headquarter à Stans et deux autres bureaux aux USA et en Australie, le phénomène Pilatus a enveloppé le globe aérospatial de son doux parfum aux touches d’huile de moteur. Avec des ventes aux quatre coins du monde, dont 39% aux Amériques et 25% en Europe, l’avionneur helvétique à l’esprit visionnaire garde pourtant les pieds sur terre, suivant minutieusement ses principes de sécurité, de performance et de qualité suisse ! Et le dragon de métal continue son ascension.