Portrait
24 janvier 2022

Mathieu Jaton, show must go on !

par Laëtitia Cadiou


©Michel Juvet / NOW Village

26 années passées au Montreux Jazz Festival, son enthousiaste Directeur, Mathieu Jaton, nous raconte et partage sa vision pérenne pour le festival.

Parlez-nous de votre rencontre avec Claude Nobs, il va changer votre vie!

La première fois, je devais avoir seize ans, j’avais monté un groupe de musique, et mon rêve était de pouvoir faire écouter une maquette à Claude Nobs, fondateur du Montreux Jazz Festival et surtout patron du label de musique Warner Europe. Mon père le connaissait depuis de nombreuses années, ce qui m’a permis d’obtenir un rendez-vous, nous étions si fiers d’avoir pu lui parler et obtenir ses conseils, même si le groupe n’a pas donné grand chose « rires ». 

Notre deuxième rencontre était en 1994, au Montreux Palace pour le Bal du Printemps, j’avais travaillé comme extra et c’est à la fin du service vers 4 heures du matin que Claude me tape dans le dos et me propose spontanément de l’aider le lendemain au chalet, il accueillait le manager des Monty Python. Comme promis, je l’aide à la cuisine et au service, pour terminer par être convié à leur table. Au départ des invités, on va boire un verre de whisky et refaire le monde, c’était pour moi, alors âgé de 18 ans, un moment magique, qui va sceller une amitié pour la vie et changer la mienne.

Quelles ont été les étapes au MJF ? Considérez-vous avoir été privilégié ?

En fait j’ai eu la chance de commencer tout en bas de l’échelle avec un job d’été au chalet, pas rémunéré, mais avais accès au festival, c’était formidable. L’année de mon diplôme à l’EHL, en 1999 le poste de responsable marketing et sponsoring venait de se libérer au Montreux Jazz Festival, j’ai été convoqué par Claude pour un entretien d’embauche. Un entretien atypique, en compagnie de quatre autres candidats dans la même pièce, avec le recul, cela ressemblait assez aux pratiques de Claude Nobs « rires ». J’ai finalement été choisi parmi des profils plus expérimentés, j’avais su gagner sa confiance au fil du temps. Six années aux côtés de Claude à multiplier les différents jobs m’ont permis d’apprendre le métier.

Une carrière fulgurante, facile ?

Pas du tout, au contraire je me suis retrouvé dans un climat délicat entre les membres de l’ancienne organisation : c’est-à-dire celle du Montreux Jazz Festival et le Festival de la Rose d’Or lorsqu’elles appartenaient encore à l’Office de Tourisme, et la nouvelle équipe mise en place lors de la création de la Fondation. Nouvelle équipe, qui avait pour souhait de restructurer toute l’organisation, inutile de vous dire qu’on m’attendait au tournant.

L’année suivante Michaela Maiterth, Secrétaire Générale du festival et alliée de 30 ans de Claude démissionne et suggère au Conseil de Fondation que je reprenne son poste. J’étais très heureux de cette nouvelle que j’ai apprise en écrivant des notes pendant une réunion. Plus tard dans la voiture, Claude me laisse entendre à demi-mot, qu’il a 65 ans et qu’il va falloir qu’il pense à la relève et nous n’avons plus jamais reparlé de cela après.

©Michel Juvet / NOW Village

Aujourd’hui vous êtes à la tête d’un véritable empire musical avec différentes fondations, quelles sont leur rôle ? 

Le Festival de Jazz de Montreux a été créé en 1967 et devenu en 2007 une fondation qui est détentrice de tous les assets, comme la marque du Montreux Jazz Festival.

Montreux Jazz International SA développe des franchises de cafés et licences de festivals au niveau international.

La Montreux Jazz Artists Foundation, fondation d’utilité publique s’occupe de la partie éducative, avec l’académie de musique, les jam-sessions, découverte des jeunes musiciens et leur accompagnement. 

La plus récente crée en 2019, Montreux Media Ventures, est une société qui crée, édite et distribue le contenu du Montreux Jazz sur les plateformes digitales ou celles de nouvelles technologies. Elle permet par exemple, de gérer les droits d’auteur, le streaming ou les clips vidéo des artistes qui viennent chez nous.

La Claude Nobs Foundation léguée à Thierry Amsallem, partenaire de claude Nobs, oeuvre à préserver, entretenir et valoriser le patrimoine de Claude, comme le chalet, les archives et les collections musicales. 

Que fait-on de ce patrimoine ?  

Jusqu’en 2007 c’était des bandes de plus de 40 ans dans une étagère au chalet, il a fallu l’intervention de l’EPFL et Patrick Aebicher pour ne pas laisser mourir ces bandes. 12 années auront été nécessaires pour numériser et digitaliser plus de 15’000 heures de musique. En 2019 et en collaboration avec BMG, on a sorti une série de vinyles de musique qui s’appelle Montreux Years avec des lives mythiques comme par exemple Nina Simone, Etta James, ou Marianne Faithfull. On a également un partenariat en exclusivité avec la plateforme Qello concerts by Stingray qui permet de visualiser plus de 150 concerts de Montreux.

The Montreux Years ©Montreux Jazz Festival

La Montreux Jazz Artists Foundation pourrait-elle pousser le curseur plus loin pour accompagner l’artiste ?

On ne s’était pas posé la question de signer un artiste, nous sommes une institution culturelle pour l’aider à affronter le milieu musical, mais il est vrai qu’aujourd’hui avec la crise et toutes les fusions internationales de Maisons de disques qui deviennent des groupes monstrueux, avec pour seul but le développement de contenu pour les réseaux sociaux, les artistes se sentent à l’écart. Notre expérience et réseau développé pourraient nous permettre de créer un label niche, un label 2.0, qui mettrait l’accent sur l’humain, la proximité, les valeurs pour l’artiste. Ce n’est donc pas impossible.

Pensez-vous que cette crise pandémique aura obligé le modèle économique des concerts à évoluer ?

Absolument, la crise a été un accélérateur de changements inéluctables pour nous. Tous les évènements depuis 2020 ont été repensé, avec en tête, le développement durable. Je crois aussi  que nous devons revenir à la qualité et non miser la quantité. Développer un festival de musique dans un lieu idéal comme Montreux, c’est avant tout être clair dans son positionnement, apporter l’excellence dans l’accueil, offrir des conditions optimales pour y vivre des expériences musicales.

©Michel Juvet / NOW Village

On surnommait Claude Nobs  «Funky Claude» suite à la chanson  « Smoke on the Water» de Deep Purple, vous a-t-on affublé d’un charmant sobriquet ? 

Non pas vraiment « rires », un ami de mon père m’avait donné un surnom frère sourire, j’étais un enfant lumineux et toujours souriant, un éternel optimiste.

Quels sont les conseils ou valeurs que Claude Nobs vous aura léguées que vous gardez précieusement et mettez en pratique ?

Il avait de nombreuses valeurs exceptionnelles et particulièrement son côté altruiste, son côté très humain et avait l’art de mettre tout le monde à l’aise. Pour illustrer cela, j’ai en tête une phrase que mon papa me disait et que je n’ai jamais oubliée : « ne néglige jamais personne, car il se retrouvera un jour sur ton chemin ».

www.montreuxjazzfestival.com