Mode
18 août 2020

Bally, quand Swiss et Made font la paire

Il est difficile de s’imaginer que le mariage de l’impératrice Sissi, l’ascension du Mont Everest, les empreintes de Neil Armstrong sur la lune, la performance de l’équipe suisse aux Jeux Olympiques d’Hiver de 1948 et le shooting de la pochette du rappeur Doug-E-Fresh pourraient avoir quelque chose en commun. Et pourtant ! Une seule et même marque a contribué à cette série d’évènements. Une griffe plus que centenaire qui a timidement débuté dans la cave d’une maison à Schönenwerd pour s’imposer comme leader des chaussures au niveau international. C’est l’histoire de Bally.

par Eugénie Rousak

Le chemin de Bally n’a pas suivi une trajectoire facile, entre les difficultés du début, la méfiance des suisses par rapport aux chaussures produites chez eux et les turbulences multiples endurées après la vente de l’entreprise par la famille fondatrice, que la Maison n’a pas encore vraiment surmonté. Mais ne nous aventurons pas si rapidement. Nous sommes en 1850 dans le canton de Soleure, le fabricant de rubans et expert en élastiques, l’industriel Carl Franz Bally doit se rendre à Paris. Après avoir réglé ses affaires, il profite d’être dans la capitale française pour acheter quelques cadeaux à sa femme. Son choix se portera sur des chaussures, pourquoi pas ? De nature curieuse, il observe alors ces souliers, s’intéressant particulièrement aux modèles brodés. Entrepreneur dans l’âme, il a un déclic :  l’avenir de cette industrie se trouve dans les chaussures fonctionnelles en cuire souple de haute qualité. Sans attendre, il fonde Bally & Co en 1851. Avec son frère Fritz Bally, ils installent l’atelier dans au sous-sol de sa maison et l’affaire est lancée. Mais le chemin de la réussite étant tourmenté, la première collection est un désastre. En plus, un désastre annoncé dans les journaux, qui suffit à décourager les suisses à acheter les chaussures de l’enseigne et à anéantir durablement sa réputation. Mais si la boutique de Bally occupe aujourd’hui le numéro 47 de la Rue du Rhône, c’est parce que les frères n’ont pas abandonné leur idée des souliers aussi confortables qu’élégants, même si le chemin de réussite est lent. La qualité et le savoir-faire étant la priorité de la Maison soleuroise, il n’en faut pas moins d’une journée pour produire une paire. Pas vraiment assez pour conquérir le monde. Mais la famille Bally va saisir sa chance et la révolution industrielle sera un véritable coup de pouce pour ce fleuron de l’industrie helvétique.

Bally, architectes du cuir

Délocalisant la production dans une usine en 1854 au milieu du village, Carl Franz Bally décide de compléter le savoir-faire traditionnel par l’utilisation des machines. Accompagné de son fils Eduard, l’entrepreneur optimise la production, profitant de l’innovation et des nouvelles sources d’énergie. Le résultat ne se fait pas attendre. Le progrès mécanique propulse rapidement Bally au niveau supérieur ! La fabrique de Schönenwerd peut désormais produire 100 paires par jour ! De quoi rêver de l’international… enfin pourquoi seulement rêver ? En 1881 Bally ouvre les portes de sa boutique londonienne sur la commerçante New Bond Street pour présenter la qualité du Swiss Made à la monarchie britannique. Des modèles à la fois élégants, confortables, contemporains et accessibles vont rapidement se hisser au sommet de l’industrie. La nouvelle clientèle est séduite par l’attention accordée aux détails et les mélanges de matériaux dans une même paire. Les designs qui combinent à la fois des broderies, des boutons, des motifs ou des ornements et parfois même des franges, de quoi faire tourner la tête ! Le chausseur helvétique prend alors la tête de la fashion industrie internationale. Afin de faciliter sa production grandissante, Carl Franz Bally offre à Schönenwerd un véritable lifting. Pour loger ses quelques milliers de travailleurs, Carl Franz Bally repense entièrement ses bâtiments en créant des quartiers d’habitations, un parc public et même une piscine. Une façon nouvelle de fabriquer ! La transmission de l’entreprise aux fils du fondateur, Eduard et Arthur, à la fin du XIXe siècle ne fait que contribuer à la gloire de l’enseigne. Sous leur influence, la production va se rapprocher des quatre millions de paires annuellement alors que la notoriété de la marque devance toute la concurrence. D’ailleurs, en parlant de concurrence… Contrairement à d’autres grandes Maisons, Bally n’a jamais eu besoin de créer un logo pour asseoir sa notoriété. Des bandes rouges et blanches reconnaissables, en référence au drapeau helvétique, et la fameuse boucle Janelle ont amplement suffi pour se distinguer et surtout pour créer une continuité dans les collections !

Ascension de l’Everest au sens propre et figuré

En 1951 Bally fait éclater une véritable bombe sur l’industrie avec le modèle Scribe. Œuvre de Max Bally, petit-fils du fondateur, cette référence au parisien Hôtel Scribe fait toujours tourner la tête des consommateurs se déclinant dans tous les styles et matériaux. Symbole de l’élégance, ce style classique et épurée est depuis l’emblème de la Maison. Les collections pour femmes dictent également le marché, invitant des polka dots, des nœuds et des replis sur des chaussures qui « s’accordent à la personnalité et harmonisent avec la toilette », selon une affiche publicitaire. Mais en plus d’être le signe de goût et de confort pour la ville, Bally élargit sa gamme avec des chaussures de randonnée aux semelles très résistantes dans les années 20. C’est justement cette diversification de ligne qui va propulser la marque au sommet de l’Everest et sur la lune. Et ce n’est pas une allégorie ou figure de style ! L’aventurier Néo-Zélandais Sir Edmund Hillary va porter des Bally pour dompter l’Everest, alors que la semelle Bally de Neil Armstrong touchera la surface de la lune en 1969. Un petit pas pour l’homme, mais grand pas pour l’humanité et un immense pour l’enseigne helvétique ! La semelle Sparta Grip sont toujours produites par la marque, si vous désirez acquérir. Les chaussures sont à compléter avec du prêt-à-porter, de la maroquinerie et des sacs en cuir, également produits depuis les années 70 par l’enseigne.

Un phoenix helvétique ?

Après l’ascension d’un sommet, vient inévitablement la descente. Et cette règle n’a pas épargné l’enseigne suisse. Après être vendue par la famille dans les années 70, Bally est passé entre les mains de différents propriétaires, perdant son identité et l’engouement de sa fidèle clientèle. D’ailleurs l’usine a quitté son Schönenwerd natal pour s’approprier le tessinois Caslano. Dans les années 2010 le duo artistique Graeme Fidler et Michael Herz a débuté la relance du savoir-faire plus que centenaire de la Maison, projet soutenu par leur successeur, Pablo Coppola. Passant entre les mains de Nicolas Girotto en 2019, qui avait précédemment relancé Harry Winston, le chausseur helvétique a peut-être une chance de recolorer ses bandes rouges et blanches et recirer ses Scribes ?

La Suisse a ses vedettes. Lindt pour le chocolat, Rolex pour les montres et Bally pour les chaussures. L’héritage culturel de cette Maison qui a produit 150 millions de chaussures en 150 ans a durablement marqué le patrimoine helvétique. Si peu de marques peuvent se vanter d’avoir un musée à leur nom, Bally, elle, ne s’en prive pas.

Robe rouge, Bally

Sac à dos Harper, Bally

Chaussures Dahlia, Bally

Sac Viva, Bally

Moccasins Crokett, Bally

Lunettes de soleil Steve, Bally