Portrait
07 septembre 2021

Portrait – Simona Brunel-Ferrarelli

par Laëtitia Cadiou


©Michel Juvet / NOW Village

Rencontre avec l’auteure Simona Brunel-Ferrarelli qui signe un deuxième roman fort et instinctif : La Chienne-Mère aux Editions Slatkine.

Simona Brunel-Ferrarelli est arrivée, accompagnée de sa chienne Luna, un magnifique Golden Retriever, qui a été sa grande source d’inspiration pour l’écriture de son dernier roman, La Chienne-Mère. Ce livre aborde les rapports entre une mère et une fille, la violence intrinsèque d’une famille, les difficultés à se faire une place dans la société, un parcours fatal vers la délinquance. L’adoption d’une chienne à l’amour sans concession va créer un lien si fort avec la petite fille, l’espoir au meilleur. Mais cela va-t-il être le cas ?  Une histoire construite à la manière d’une tragédie grecque soutenue par des mots acerbes que l’auteure fait virevolter avec habileté pour faire mouche à chaque page. L’amour maternel au coeur du débat, une réflexion sur le rôle de l’amour avant même d’exister. 

NOW – Comment cet amour pour la littérature est-il né ?
SBR – Je suis née dans une famille d’intellectuels qui avait des exigences culturelles extrêmement hautes. On avait pas de télé à la maison, on était donc obligé de lire, et a 14 ans, j’avais déjà beaucoup lu et acquis des connaissances littéraires importantes.

NOW – Et qu’auriez vous choisi si vous n’aviez pas étudié les lettres ? 
SBR – Je rêvais d’être sage-femme ou actrice mais mes parents avaient décidé que je fasse droit ou Science-Po, j’ai donc suivi leur souhait et commencé des études à Science-Po, toutefois après la fin de ma première année j’ai magistralement raté mes examens, ils m’ont donc laissé prendre la voie littéraire.

NOW – Vous étiez professeur de littérature française, comment faire aimer cette matière à vos élèves ?
SBR – Le programme de la maturité fédérale était très stricte mais selon moi, le savoir ne se transmet pas ce sont des facultés qu’on réveille. Par exemple pour la poésie et Baudelaire, j’allais chercher très loin ce qui pouvait amener les élèves à aimer la poésie, comme l’intérêt à la musique, j’essayais de susciter un plaisir avant la culture et la connaissance.

NOW – Comment devient-on écrivain ?
SBR –  Vous voulez dire comment faire éditer son premier livre ? Parce que l’écriture a toujours été là, d’abord très jeune par des petits carnets intimes et ensuite vers 25 ans de nombreuses pièces de théâtre, puis un premier roman à 28 ans. Le premier livre que j’ai voulu faire éditer a été Les Battantes avant cela, c’était pour le plaisir d’écrire, c’était très égoïste.

©Michel Juvet / NOW Village

NOW – Est-ce qu’un deuxième roman, c’est un peu comme une deuxième naissance, on a moins de crainte et on se sent plus sereine ? 
SBR – Pas du tout, je n’étais pas prête pour le premier et grand trac pour le deuxième !  Le premier roman, je voulais être édité, mais je n’y croyais pas, un peu comme une bouteille à la mer, on verra bien. J’avais la pression pour le deuxième, je tournais en rond et finalement, je me suis dit : “tant pis, écris comme d’habitude et au pire, tu seras un auteur qui n’aura écrit qu’un livre“ . J’ai lâché prise et écrit La Chienne-Mère en trois mois.

NOW – Comment est née l’histoire de La Chienne-Mère ?
SBR – Le sujet est là depuis Les Battantes, ça s’appelait au départ Les Ventrues, je voulais parler de ces femmes du sud de l’Italie, qui ont cette maternité douloureuse, confrontées à la violence, elles perdent leurs enfants et gardent le seul souvenir de la grossesse. J’effaçais, j’effaçais et rien ne me plaisais et un jour, je regarde mon chien Luna qui est toujours à mes pieds et comme dans un état second, j’ai eu l’image finale du livre de cette chienne qui défend sa maîtresse. À partir de là, j’ai reconstruit tout le roman sur un lien entre une petite fille et sa chienne. J’ai gardé très peu de ses femmes-là dans le livre.

NOW–  Vous nommez le chien Mère ce qui permet d’y mettre une majuscule en contradiction avec la mère du personnage principal qui elle, n’obtiendra pas cette distinction.
SBR – Oui, c’était important on a un instinct que parfois nous négligeons, j’ai essayé de traduire, de témoigner des sentiments très forts que ma chienne m’a appris, elle m’a aidé à surmonter des moments très difficiles de ma vie. Luna a cette attitude-là, elle me protège et me rassure. J’ai voulu faire l’éloge de cet instinct primordial.

NOW– La tragédie grecque est omniprésente dans le livre ! 
SBR –  Oui en effet d’ailleurs mon oeuvre préférée est Phèdre, je suis très tragédie grecque. Je ne suis pas très romantique, j’ai besoin d’émotions fortes, mais parfois, la mort d’un bandit peux être très romantique (rires).

©Michel Juvet / NOW Village

NOW – Pensez-vous qu’il soit tabou de parler des mères qui ne ressentent pas d’amour pour leur enfant, l’amour est il génétique ? Ou au contraire un apprentissage au fil du temps ?
SBR – L’amour maternel n’est pas génétique, ce sont des possibilités, selon des lieux, les contextes socio-culturels, géopolitiques, comme par exemple des femmes qui subissent des viols et qui enfantent, je m’interroge profondément sur leur sort. Je ne voulais pas stigmatiser, mais soulever la question de façon générale. C’est tabou en effet, dans la société dans laquelle on vit, on doit toujours être une bonne mère.

NOW – Vous parliez de votre dévotion pour l’écrivain Albert Camus, vous avez souhaité faire entrer votre « étranger » dans votre livre avec le personnage Sahi ? Après tout, ne sommes-nous pas tous des réfugiés d’un pays ou celui d’un coeur ?
SBR – Je l’ai pas fait exprès dans ce livre mais c’est vrai, j’adhère à toutes les idées d’Albert Camus, cela me colle à la peau, je connais toute son oeuvre et j’ai mis longtemps à me défaire de sa cadence d’écriture. Il m’aura fallu sortir du tunnel, une sorte de petite mort, d’une dépression pour m’approprier ma vie, trouver mon style, ma façon d’écrire, c’est plus personnel aujourd’hui.

NOW – Comment écrivez-vous vos romans ? Vous avez commencé par l’histoire avec le scénario ou au contraire il s’est construit au fur et à mesure.
SBR – Une idée de départ, ce que je veux dénoncer et à partir de cela j’écris sur mes notes, je réunis les bribes, des petites pièces de puzzle que je retourne pour les mettre ensemble. Les personnages sont des outils, ils ne sont là que pour raconter quelque chose, une émotion.

NOW – Avez-vous du mal à sortir de votre livre pour en commencer un autre.
SBR – Non pas du tout, c’est très facile, je ferme la page et suis déjà sur mon prochain roman.

NOW –  Votre roman est signé chez l’éditeur genevois Slatkine, au départ une belle anecdote.
SBR – Oui j’adorais la librairie Slatkine, c’était un endroit où j’aimais aller, les beaux livres, les histoires, et lorsque je me suis mariée j’ai demandé a n’inscrire sur ma liste de mariage que des beaux livres de la Maison Slatkine. Je suis très contente de mon éditeur Slatkine à qui je rends hommage ! À 20 ans, je rêvais qu’un jour Slatkine soit mon éditeur, et maintenant que j’y suis, j’y reste. C’est ce qui se fait de mieux, je me sens honorée d’être chez eux.

La Chienne-Mère,
Éditions Slatkine