Crédits photos : © Eloi Henriod
Parcours
Drôle de sujet et surtout lorsqu’il est lancé par un avocat. Erasme Guyot né à Lausanne en1976 aurait pu se lancer à corps perdu dans l’équitation ou les arts comme une partie de sa famille, ou choisir de devenir un éminent architecte comme son père ou économiste comme sa mère. Ce sera le droit, avec tout d’abord un brevet d’avocat passé dans le canton de Genève puis un doctorat à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne.
Le Droit spatial européen (Editions Helbing&Lichtenhahn/Bruylant), un premier livre très sérieux, puis un article sur Le droit face à la possibilité de la vie dans l’espace dans la Revue française de droit aérien et spatial (Editions Pédone).
Un joli pied de nez au monde secret de l’espace et de ses découvertes
Pourquoi avoir choisi le droit ? et plus particulièrement une orientation pour le droit de l’espace ?
Pour ce qui concerne le droit, j’avais envie d’étudier quelque chose vers lequel je n’étais pas naturellement dirigé par mon éducation et dans lequel je n’avais aucune connaissance. Les sciences humaines m’ont toujours intéressé et j’attendais d’elles qu’elles m’aident à comprendre le monde dans lequel on vit.
J’ai ensuite choisi le droit de l’espace par curiosité comme option dans le cadre d’un post grade de droit commercial international, puis j’ai approfondi le sujet pour en étudier le commerce au regard du droit de l’OMC, et j’ai poursuivi en rédigeant une thèse sur le sujet.
Le droit de l’espace régit les activités humaines dans l’espace extra-atmosphérique, c’est donc une projection de l’organisation humaine dans l’espace, une confrontation de notre mode de vie et de notre pensée à un environnement hostile infini, mais qui est peut-être le milieu naturel de notre évolution. Par exemple, la question du respect de la propriété intellectuelle prend une nouvelle dimension lorsqu’une œuvre est diffusée par satellite. Les règles de responsabilités sont bouleversées en raison du milieu spatial, de la maîtrise relative de la technologie mise en œuvre pour l’atteindre et des acteurs des activités spatiales qui, jusqu’ici, étaient principalement des Etats. Alors que le droit de l’espace défini les cosmonautes, spationautes, astronautes ou taïkonautes comme des « envoyés de l’humanité », représentant ainsi symboliquement l’ensemble des habitants de notre planète, on peut remettre en question cette appellation maintenant que des acteurs privés mènent des activités spatiales. La souveraineté des Etats s’arrête à leur espace aérien, mais comment se projette cette souveraineté sur les orbites qui surplombent les Etats ou sur les vaisseaux spatiaux. Notre définition du règne animal et végétal est-elle toujours valable à l’échelle de la vie qui pourrait exister dans l’univers ?
Le droit de l’espace, comme les activités spatiales, peut sembler très éloignés de nos préoccupations quotidiennes, mais en réalité il s’étend horizontalement à de multiples champs du droit, de la même manière que nous profitons tous des communications et du positionnement par satellite.
Comment devient-on avocat pour l’Agence Spatiale Européenne ? C’est un poste on l’imagine très convoité ! quelles ont été vos motivations pour y postuler ?
Il semble qu’il y ait en général un nombre important de candidats pour travailler à l’ESA (European Space Agency), mais je ne peux pas vraiment vous dire si c’est pour autant un poste très convoité, car la plupart des gens connait moins l’ESA que la NASA et semble avoir de la peine à comprendre en quoi consiste mon travail.
Je m’engageais dans une carrière en droit bancaire et commercial à Genève, mais un accident de ski a changé mes priorités. J’ai compris que les conflits qui rythment la vie d’un avocat finissaient par m’atteindre, et que j’allais passer de l’un à l’autre comme un singe de branche en branche. J’avais davantage envie de participer à une aventure dont la finalité me fasse fantasmer.
Quel rôle exact avez-vous dans cet organisme intergouvernemental ?
Je me charge de contrats liés aux lanceurs et principalement ceux de services de lancement pour les programmes de l’ESA. Cela signifie que, de concert avec des ingénieurs et financiers, j’émets des appels d’offre, puis négocie et conclus des contrats pour lancer des vaisseaux dans l’espace. Je dis « vaisseaux », car il s’agit le plus souvent de satellites, mais parfois aussi d’engins en direction d’autres planètes. Pour prendre un exemple récent, l’ESA vient de signer avec Arianespace le contrat de lancement du vaisseau JUICE – pour Jupiter Icy Moon Explorer – qui sera lancé en 2022 depuis Kourou en Guyane française, puis tournera autour de la Terre, puis de Venus, puis de Mercure, puis de Mars, pour enfin avoir l’énergie suffisante pour aller en 2029 vers Jupiter et ses lunes de glace pour en examiner la composition, et en particulier si une forme de vie pourrait s’y est développée. Parfois, il s’agit de lancement de satellite autour de la Terre à des fins d’observation, comme pour Copernicus, le programme de l’Union européenne, de navigation comme Galileo ou de télécommunications. C’est donc le plus souvent des activités qui s’étendent sur une très longue durée.
Parlez-nous des objectifs de L’Agence spatiale Européenne, quelles sont ses missions ?
L’Agence, plus communément appelée ESA (European space Agency), exécute des activités spatiales pour le compte de ses 22 Etats membres dans un but exclusivement pacifique. Elle a été fondée en 1975 et n’est pas une institution de l’Union Européenne. La Suisse en est d’ailleurs un des Etats fondateurs. Cela signifie que, sur proposition de son Directeur général, bien entendu assisté d’une cohorte de scientifiques, les Etats membres financent des programmes spatiaux de recherche et développement dans des domaines très variés pouvant aller par exemple d’activités scientifiques comme l’exploration de l’univers et de planètes, d’observation avec le lancement de satellite de télédétection pour scruter la surface terrestre et son atmosphère, de positionnement par satellite comme Galileo pour fournir des nouveaux services aux européens, de communications électroniques par satellite, de développement de lanceurs (fusées), etc. Certaines activités sont exécutées au sein de l’ESA et d’autres sont acquises auprès d’entreprises européennes liées par contrat avec l’Agence.
L’Agence Spatiale Européenne est un organisme intergouvernemental composé de 22 pays. J’imagine que pour certains pays les enjeux économiques sont plus importants que le développement des réglementations de l’espace. Comment les impliquer ?
Le droit est une science humaine qui régit les activités humaines, il succède donc toujours aux activités elles-mêmes, à moins qu’on fasse preuve d’anticipation. Il est donc normal que les Etats aient des préoccupations géopolitiques, scientifiques et économiques avant d’avoir des préoccupations juridiques. Je n’établis pas de règlementations pour contraindre les activités spatiales, mais j’aménage les conditions juridiques pour permettre la réalisation des activités au bénéfice des parties en cause, comme n’importe quel avocat en droit des affaires. J’aborde le droit de l’espace par le droit commercial, mais en gardant en tête la particularité du milieu spatial et de ses acteurs pour prendre la hauteur nécessaire à la mise en perspective des règles de droit. Quel est le but du contrat ? Que peut-on raisonnablement demander aux parties en cause ? Quel est le risque inhérent et acceptable ? Comment le prend on en compte ? etc. Il s’agit de construire un raisonnement juridique classique sur une activité hors du commun.
On parle de la pollution, de la surpopulation, pensez-vous qu’à terme nous devrons tous un jour aller vivre dans l’espace ?
L’espace, auquel on ne connaît pour le moment aucune frontière et dont les ressources paraissent sans limites, semble permettre une croissance infinie et répondre ainsi à notre besoin naturel de développement. Le goût de l’aventure vers l’inconnu m’apparaît également comme un trait fondamental de l’espèce humaine. Les défis liés au développement de la technologie nécessaire à l’exploration de l’espace sont autant d’opportunités d’une collaboration internationale pacifique. L’espace répond donc à beaucoup de nos besoins. Mais la Terre est notre vaisseau amiral pour voyager dans l’espace ; nous n’avons donc aucune chance de survie si nous ne sommes pas capables de la préserver. On ne vit nulle part aussi bien que sur Terre.
Comment avez-vous eu l’idée d’écrire Le livre « Les droits des extraterrestres » ?
Grâce à la poésie des dessins et le ton humoristique des textes, ce livre est tout public, était-ce un souhait ?
Il n’est pas exclu qu’une forme de vie extraterrestre soit découverte de mon vivant. En m’y intéressant, je me suis rendu compte que le statut juridique de la vie extraterrestre n’était pas abordé par les juristes, sans doute car cette question soulève plusieurs tabous, notamment religieux, mais aussi liés à la pensée des juristes eux-mêmes qui sont conservateurs par nature et peinent à confronter le droit à des spéculations. Les juristes ont bien souvent des esprits terre-à-terre. Pourtant, il faut se souvenir de la Controverse de Valladolid lors de laquelle, au XVIe siècle, des théologiens et juristes se demandèrent si les habitants des terres colonisées du nouveau monde avaient une âme et devaient pouvoir bénéficier de la protection de l’église. Ce débat eut lieu après des décennies de massacres. En y pensant avec un demi-millénaire de recul, il nous paraît évident que l’église et les conquistadors auraient dû penser avant de partir en mer à la manière dont ils allaient aborder les habitants de ces nouvelles terres. J’ai pensé qu’il fallait apprendre de notre histoire et faire preuve d’anticipation. Cette démarche m’a paru d’autant plus pertinente qu’elle pose la question de notre altérité de notre propre point de vue, et donc de ce qui nous constitue en droit en tant qu’être humain. En la traitant à l’échelle de l’univers, on démontre de manière encore plus évidente l’absurdité de toute forme de discrimination sur Terre. On aborde aussi par ce biais la condition animale. Ces questions me semblent fondamentales à l’évolution de notre espèce sur Terre et dans l’univers. Comme elles sont universelles, j’ai pensé qu’il fallait sortir du champ juridique scientifique et vulgariser autant que possible mon propos. Afin de dépasser l’aridité du droit, j’ai tenté de séduire un public aussi large que possible par l’humour et la dérision.
Ce livre a été réalisé en collaboration avec votre épouse qui a créé les dessins, comment se déroulait le développement du livre ? Vous écrivez elle dessine ou est-ce le contraire ?
J’ai écrit l’histoire, puis me suis attelé aux dessins. Je les ai ensuite soumis à Audrey à l’état de bourillon pour qu’elle les mette en couleur et les complète si nécessaire. Le résultat est surtout concluant quand je me contente de croquis sur lesquels elle peut laisser cours à sa créativité. Ce fut une expérience très amusante de travailler ensemble sur ce livre et nous avons convenu de faire un second volume si nous en trouvons le temps.
Alors, les extraterrestres existent-ils ? Sont-ils aussi inoffensifs que ceux dépeints dans votre livre ?
Oui je pense que les extraterrestres existent ! Les premiers que nous découvrirons seront peut-être de simple vers de terre. Et Claude Nicollier a répondu positivement à cette même question. S’ils nous connaissent déjà et qu’ils ne nous ont pas colonisé, c’est qu’ils sont déjà plus sages que nous. Sinon, toutes les spéculations sont permises et y penser aiguaie mon quotidien.