Swissness
04 octobre 2022

Toblerone, histoire et secrets

par Eugénie Rousak


Une barre de chocolat et ses petits triangles que le monde entier nous envie, mais est-elle vraiment suisse ?

Bien que Toblerone soit indéfiniment ancré dans le Swissness, ni son nom, ni son idée ne sont entièrement suisses. En effet, son appellation est à moitié italienne, alors que son ingrédient secret a été ramené directement de France. Nous avons voulu faire la lumière sur un secret bien gardé depuis 155 ans.


Nous sommes en 1867, un certain Jean Tobler commence à travailler à Kuentz, une pâtisserie sur la bernoise Marktgasse. Ses débuts sont prometteurs, mais le propriétaire de l’enseigne tombe rapidement malade. Jean décide alors de reprendre l’établissement. Si cette décision paraît très ambitieuse, la suite des événements le sera d’autant plus ! Plutôt que de continuer à faire paisiblement évoluer cette petite affaire, il voit les choses en grand et décide de déménager dans un nouveau bâtiment à la Mittelstrasse sous le nom de Confiserie Spéciale.
Les chocolats sont alors réalisés à partir de matières premières achetées à d’autres fabricants. Nous ne sommes pas vraiment dans l’avant-gardisme de production, mais la demande est grandissante ! Les affaires vont si bien, que le bernois décide de lancer sa propre chocolaterie sous le nom de Fabrique de Chocolat Berne, Tobler & Cie.
C’est le début d’une nouvelle aventure familiale, mais pas encore celle des cônes emblématiques.

©Toblerone

Entre blanc et brun

Dix longues années vont passer avant la découverte qui va donner une nouvelle direction à cette petite affaire, changeant indéniablement le monde chocolatier. Elle sera d’ailleurs faite par la nouvelle génération de l’entreprise et un autre Tobler, Theodor, fils de Jean.
A ce moment, Emil Baumann, cousin de Theodor et chef de fabrication dans l’affaire familiale, ramène un drôle de produit de son voyage à Metz. Du nougat blanc, qu’il a découvert sur place ! Il faut le goûter !
Et il voit juste, sucrée et croquante, la friandise séduit immédiatement Theodor.
Et pourquoi ne pas intégrer cette pâte blanche dans le chocolat ? Mais quelle idée de mélanger deux desserts ! Après des essais dans la cuisine familiale, les proportions idéales entre fèves, lait, sucre, miel, blanc d’œuf et amandes ont été mises au point. Il faut commercialiser. C’est donc en 1908 que ce mariage novateur est produit sous l’appellation de Toblerone.
Finalement, la recette est assez simple, mais paradoxalement ne sera jamais égalée, un peu comme le Nutella, ingrédients évidents, mélange inimitable. Enfin c’est une autre histoire, revenons en Suisse. D’ailleurs ce nom Toblerone est une ingénieuse association de ce qui a fait le succès du produit : le nom familial Tobler et l’ingrédient torrone, nom italien pour le nougat au miel et aux amandes.
C’est ainsi que débute l’aventure plus que centenaire de la première barre chocolatée de l’histoire !

L’ascension du Cervin

Avant de poursuivre la suite de l’histoire, il reste à déterminer les origines de cette forme si particulière qui est devenue si emblématique. Paradoxalement, la vérité n’existe pas, mais il y a deux théories principales.
Selon la première, la forme pyramidale rappelle le paysage suisse et en particulier le pic de Cervin, culminant à 4 478 mètres. Si aujourd’hui cette interprétation paraît évidente, au moment de la création le reflet de la montagne n’agrémentait pas encore l’emballage, dons pas de rapprochement possible.
D’ailleurs pas d’ours non plus, mais un aigle. Mais nous y reviendrons.
La seconde théorie, plus intrigante, fait référence à un spectacle au music-hall parisien des Folies Bergère, qui culminait avec une pyramide humaine, qui aurait fortement marqué le confiseur.
A vous de décider donc. Ce qui est sûr, c’est que cette forme, qui a même été brevetée, contribuera grandement à la reconnaissance internationale de la marque !

©Toblerone

Toblerone sans Tobler

Véritable self-made-man, Theodor Tobler transforme la petite confiserie de ses parents pour devenir un important employeur de Berne. Ainsi, en 1920, quelques 2 000 personnes travaillent pour les petites pyramides.
C’est également à ce moment, que l’entreprise décide d’ancrer encore plus dans son origine bernoise, remplaçant l’aigle par l’animal héraldique de la ville, l’ours. Mais en suivant les lignes de la pyramide, après ce pic de succès et reconnaissance, les affaires descendent dans le creux.
Finalement, la crise des années 30 aura raison de Theodor Tobler, qui endette l’entreprise, avant de se faire remplacer sur une décision du Conseil d’Administration. Si sa carrière s’arrête brutalement, l’orphelin Toblerone doit continuer son évolution, passant d’une compagnie à une autre. D’abord associé à Suchard dans les années 70, le groupe est finalement acquis par l’industriel germano-suisse Klaus Jacobs.
Le nouveau Jacobs Suchard est ensuite racheté par l’américain Philip Morris. Aujourd’hui Toblerone évolue en parallèle à LU, Milka, Oreo, ou encore Côte d’or au sein de Modelez, multinationale agroalimentaire dirigée par le groupe Philip Morris.

©Toblerone

Les dents de scie chocolatées

Si la Maison est restée presque inchangée au début de son histoire, toutes les innovations se concentrent plutôt sur les 50 dernières années. Parfois, elles propulsaient la marque sur le pic de sa pyramide, parfois, au contraire, c’était une chute libre dans la vallée.
Si la maison commence à introduire les nouvelles variations de la barre classique à partir de 1969, elle fait extrêmement attention à ne pas trop diversifier sa gamme. Ainsi, la première innovation est le chocolat noir, suivront le blanc, le fourré dans son emballage bleu, le praliné en 1997 et finalement le Fruit & Nut, dix ans plus tard. Et cela sans parler des versions mini, bien sûr !
Si les ingrédients et les couleurs de l’emballage changent, le format de la barre en pyramides reste ancestral… enfin presque.
Parlons d’un flop, surement le plus important de l’histoire de la marque. En 2016, à la suite des évènements de Brexit, l’entreprise décide de réduire ses coûts et diminue le poids des barres vendues au Royaume-Uni de 10%.
Comme elle ne veut pas toucher à la longueur historique, la décision est d’espacer les pyramides. Le résultat ? Toblerone est comparé à un parking de vélo, plutôt qu’à une chaîne de montagnes.
Bref, le #Tobleronegate a été si souvent utilisé que la marque revient sur sa décision. Justement, en parlant de montagne. Le Cervin fait son apparition sur les emballages dans les années 70, le fameux ours dans l’espace négatif revient, quant à lui, dans les années 2000. Les deux symboles sont ainsi réunis, alors que les lettres BERNE (toBlERoNE) sont mises en évidence, rappelant encore une fois l’origine de la barre.
Actuellement la production annuelle de quelque 7 milliards de triangles (un morceau par habitant de la planète! ) sortent de l’usine à l’ouest de Berne, pour partir grandement vers l’export. Et oui, 97% des barres s’envolent aux quatre coins du monde.
Mais une décision a récemment été annoncée : à l’image des marques comme Milka et Suchard, une partie de la production sera déplacée à Bratislava en 2023. Ainsi, l’ours va descendre de son Cervin natal pour retrouver les Hautes Tatras ! L’appellation du Made in Switzerland sera surement retirée.

Si Toblerone est rentré dans les records Guinness avec sa barre de 7 kilogrammes, il est également devenu une référence de forme, notamment dans la protection nationale. Ainsi, les lignes de défense en pics de béton qui sortent de terre, portent fièrement le nom du fameux chocolatier, tout en empêchant une invasion avec des chars d’assaut. Qui l’aurait cru ?