©MAH, photo: F. Bevilacqua
Musée
16 février 2021

Marcher sur l’eau – MAH

Revisitant les collections du Musée d’art et d’histoire (MAH), l’artiste plasticienne Jakob Lena Knebl détourne les codes et renverse les perspectives.

par Eugénie Rousak

Alors que la maison familiale vient d’être revendue à la mort de son oncle, des rumeurs commencent à circuler dans le village, enveloppant de mystères le nouveau propriétaire. Des travaux nocturnes, les arbres coupés, un chien décapité, plus de question que de réponses. Une nuit de tempête, quand la curiosité prend le dessus sur sa peur et sa raison, le narrateur franchit le seuil de la porte, se laissant directement embaumer par une « odeur douce et nauséabonde ». Pour s’en sortir, il faut se libérer de préjugés. S’inspirant de cette nouvelle de José Luis Borges, l’artiste plasticienne viennoise Jakob Lena Knebl a revisité aussi bien les collections du MAH que ses espaces. La conception même d’un musée a été brouillée par la commissaire, qui a voulu rapprocher le privé du public, en invitant les visiteurs dans une maison loufoque. Oserez-vous pénétrer dans la demeure ?

©Christian Benesch

Le labyrinthe du MAH

« La cuisine, la salle de bain, la douche sont des univers intimes, domestiques, mais que nous avons décidé d’intégrer dans l’exposition. Finalement tout devient exposition, même les espaces auxiliaires du musée. Dans le vestiaire, les affaires des visiteurs se mélangent directement avec la collection de l’époque victorienne, la boutique présente aussi bien les produits habituels que la robe dessinée par l’artiste et quelques vêtements vintage qu’elle a chiné pour l’occasion » révèle le directeur Marc-Olivier Wahler. Effaçant les frontières entre les genres et la hiérarchie des œuvres, la commissaire Jakob Lena Knebl a justement voulu associer l’indissociable. Une façon inédite de troubler les visiteurs pour les libérer des préjuger et permettre de poser un regard nouveau sur les choses connues. Ainsi, les objets du quotidien, les œuvres d’art et des pièces de design se mélangent dans un absurde réfléchi. Les estampes japonaises dans la douche, la statue de Ramsès dans un lit, les femmes en colère de Carlos Schwabe comme fil rouge, des séances de spiritisme autour de la table de la combourgeoisie, sur laquelle le traité de 1594 avait été signé entre Zurich, Berne et Genève. Même la sensuelle Aphrodite a retrouvé ses membres… en textile. Finalement, cette déstabilisation en tout genre permet de libérer son esprit et de s’ouvrir à l’inédit, s’essayer à des choses impossibles. Comme marcher sur l’eau, pourquoi pas finalement ?

©MAH, photo: B. Jacot-Descombes

L’eau, fil conducteur

Mais quel titre représenterai cette exposition hors normes, révélant sa complexité et son paroxysme ? Il a été trouvé : Walk on the Water (Marcher sur l’eau en français). D’un côté, une référence à La Pêche miraculeuse, le célèbre retable polyptyque de Konrad Witz, qui représente Jésus marchant sur le Léman. De l’autre, un clin d’œil au groupe de hard rock Deep Purple et leur chanson Smoke on the Water, qui décrit la fumée sur le lac après l’incendie au Casino de Montreux. « Cet immense écart entre la culture pop et « grand » art se lit à travers toute l’exposition, dont l’objectif est de justement abolir la hiérarchie des genres » conclue Marc-Olivier Wahler.

Informations pratiques : 

Marcher sur l’eau – jusqu’au 27 juin 2021
Musée d’art et d’histoire
2, rue Charles-Galland
1206 Genève
www.mahmah.ch

Légendes photos :

A la une :
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Carlos Schwabe (1866-1926)
Étude pour « La Mer » (« La Vague ») : figure féminine à droite de la figure centrale, 1906
Musée d’art et d’histoire de Genève 
©MAH, photo: F. Bevilacqua

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Konrad Witz (1400/1410-après 1444, avant mai 1447) La Pêche miraculeuse, 1444
Musée d’art et d’histoire de Genève 
©MAH, photo: B. Jacot-Descombes

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Jakob Lena Knebl, Twins, 2020; 
©Christian Benesch