Artexposition
04 mai 2025

Carol Rama : Rebelle de la modernité

par Laëtitia Cadiou


Jusqu’au 13 juillet 2025, rétrospective événement au Kunstmuseum Bern de l’artiste turinoise Carol Rama.


C’est à l’occasion d’une rétrospective majeure organisée par le Kunstmuseum de Berne, du 7 mars au 13 juillet 2025, que l’œuvre singulière de Carol Rama est mise en pleine lumière. L’exposition, intitulée Carol Rama. Rebelle de la modernité, réunit 110 œuvres retraçant plus de 70 ans de création d’une artiste restée longtemps à la marge, avant d’être consacrée comme l’une des grandes voix féminines de l’avant-garde européenne. Autodidacte, inclassable, radicale, Carol Rama a façonné une œuvre puissante, viscérale, toujours en tension avec les normes sociales et artistiques de son époque.


Une vie marquée par la douleur et la résistance


Née à Turin le 17 avril 1918 sous le nom d’Olga Carolina Rama, Carol Rama grandit dans une famille d’industriels. Son père dirigeait une usine de carrosseries automobiles, une entreprise prospère jusqu’à la crise économique de 1929 qui conduit à sa faillite. L’adolescence de Carol est profondément marquée par les troubles psychiatriques de sa mère, internée à l’hôpital I Due Pini, et par le suicide présumé de son père en 1942. Ces événements dramatiques influenceront de manière indélébile l’ensemble de son œuvre, centrée sur des thèmes comme la sexualité, la folie, la maladie et la mort .


Carol Rama choisit très tôt l’art comme moyen de survie psychologique : « Pour moi, le travail, la peinture, a toujours été quelque chose qui m’a donné le sentiment d’être moins malheureuse, moins pauvre, moins laide et même moins ignorante… Je peins pour me guérir moi-même. » dira-t-elle interviewée par Corrado Levi et Filippo Fossati. Son appartement-atelier de la Via Napione à Turin devient un lieu de création bouillonnant et un salon intellectuel fréquenté par des artistes, poètes et penseurs tout au long de sa vie .


Carol Rama, Sans titre (autoportrait), 1937, Huile sur carton renforcé de toile, 34,5 × 27 cm
Ursula Hauser Collection, Switzerland
Photo: Archiv Ursula Hauser Collection © 2025 Archivio Carol Rama, Torino

Carol Rama dans son appartement-atelier, 1994
Photo: Pino Dell’Aquila © 2025 Pino Dell’Aquila


Une œuvre libre, radicale et inclassable


Artiste autodidacte, Carol Rama traverse le XXe siècle sans jamais se soumettre aux diktats de l’histoire de l’art. À partir des années 1930, elle crée une série d’aquarelles érotiques baptisées Appassionata, qui défient les tabous sociaux et religieux de l’époque. L’une de ses premières expositions, prévue en 1945 à Turin, est interdite pour obscénité avant même son ouverture.

Carol Rama, iI due Pini (Appassionata) (La signora
Macor), 1939. Aquarelle, détrempe et crayons de
couleur sur papier 33,7 × 23,6 cm. Collection privée. Photo: Pino Dell’Aquila
© 2025 Archivio Carol Rama, Torino
Carol Rama
Appassionata, 1940
Aquarelle, détrempe et crayons de
couleur sur papier
23 × 33 cm
GAM – Galleria Civica d’Arte Moderna e
Contemporanea, Turin, Fondazione
Guido ed Ettore De Fornaris
Courtesy Fondazione Torino Musei
Photo: Studio Fotografico Gonella, by
courtesy of the Fondazione Torino Musei
© 2025 Archivio Carol Rama, Torino

Dans les années 1950, Rama s’associe brièvement au Movimento Arte Concreta (MAC) et explore l’abstraction géométrique. Mais c’est dans l’expérimentation libre, entre peinture, assemblages et matériaux insolites, qu’elle trouve sa voix. Au fil des décennies, elle utilise chambres à air, yeux de poupée, colle industrielle ou encore textiles dans des compositions plastiques qu’elle qualifie de bricolages, un terme emprunté à Claude Lévi-Strauss et popularisé par son ami le poète Edoardo Sanguineti .

Carol Rama, Sans titre, 1950, Huile sur toile 80 × 100 cm, Collection privée, Turin, Photo: Gabriele Gaidano, Turin © 2025 Archivio Carol Rama, Torino


Son œuvre traverse différents styles, du surréalisme à l’Arte Povera, du minimalisme au retour à la figuration dans les années 1980. Pourtant, elle reste foncièrement inclassable, à la fois viscérale, intime et politique. Carol Rama n’a jamais cherché à plaire, mais à exprimer l’indicible. Elle n’obtiendra une reconnaissance institutionnelle qu’à la fin de sa vie, avec notamment le Lion d’Or pour l’ensemble de son œuvre lors de la Biennale de Venise de 2003 .


Une rétrospective en six chapitres


Présentée en six chapitres thématiques, l’exposition du Kunstmuseum Bern explore les différentes périodes de création de l’artiste : des aquarelles provocatrices aux assemblages organiques des années 1960, jusqu’à son retour à la figuration dans les années 1980. À travers une sélection riche et audacieuse, cette rétrospective rend hommage à une artiste visionnaire, longtemps restée dans l’ombre, et désormais saluée pour son rôle pionnier dans l’histoire de l’art féministe.

Carol Rama, Sans titre (Maternità) [Maternité], 1966. Peinture-émail, colle et yeux de poupée montés sur toile 90 × 70 cm
Collection privée, Turin
Photo: Gabriele Gaidano, Turin
© 2025 Archivio Carol Rama, Torino
Carol Rama, Annunciazione [Annonciation], 1985 Technique mixte et yeux taxidermiques
sur papier préalablement préparé et renforcé à la toile
42,5 × 57,3 cm. Collection privée. Photo: Pino dell’Aquila
© 2025 Archivio Carol Rama, Torino

Carol Rama, Il chiodo di Corrado [La veste en cuir de Corrado], 1993
Chambres à air de vélo sur veste en cuir, env. 82 × 58 × 8 cm. Collection privée. Photo: Pino dell’Aquila
© 2025 Archivio Carol Rama, Torino

Informations pratiques :

  • Dates : Du 7 mars au 13 juillet 2025
  • Lieu : Kunst Museum Bern
  • Horaires : Mar 10h–20h, Mer–Dim 10h–17h, fermé lundi
  • Billetterie et programme : Kunstmuseum Bern