Portrait
05 juillet 2022

Erik Truffaz – Au son de sa trompette électro

par Eugénie Rousak


©Erik Truffaz.net

Trompettiste aux sons alchimiques et métissés, Erik Truffaz a produit une vingtaine d’albums distribués à l’international. Pour les genevois, son nom est également associé au tout premier concert du Chat Noir, salle emblématique de la scène musicale carougeoise. C’était encore dans les années 80 !

S’il est connu pour avoir remporté le Prix Spécial du Jury au Concours national de jazz de la Défense, pour sa musique aux multiples références à Miles Davis et pour ses nombreux projets transversaux avec d’autres artistes emblématiques, Erik Truffaz a surtout une capacité incomparable à mélanger les genres, entrelacer les styles et faire converser les époques. Il s’aventure en permanence dans de nouvelles directions, jouant avec les multiples sonorités de son instrument de prédilection tout en ouvrant les frontières établies. Après le succès de Lune rouge, présentée par le Erik Truffaz Quartet en 2019, le trompettiste travaille actuellement sur un nouvel album dans une formation inédite au genre nouveau. Échange avec Erik Truffaz pour en savoir un peu plus.

Vous avez été rapidement introduit au monde de la musique, notamment par votre père saxophoniste. Comment le choix de l’instrument s’est-il finalement fait ? 

Mon père m’a amené à la fanfare, dont il était membre. Paradoxalement, j’ai commencé par le tambour, mais cet instrument était trop gros et difficile à porter pour un enfant de 5-6 ans. 
Les membres m’ont donc proposé d’essayer un bugle, instrument très proche de la trompette, qui était plus adaptée à ma taille de l’époque. Progressivement, je suis passé à la trompette et finalement l’ai gardée ! 

Vos premiers albums, que cela soit The Dawn ou le Bending New Corners, sont un métissage de styles avant d’emprunter une voie plus rock ou électro. Comment décrieriez-vous cette période artistique de votre vie ? 

A l’époque ce style se qualifiait d’électro-jazz. Il est surtout venu des expériences avec le groupe hip-hop lausannois, Silent Majority, produit par Unik Records avec Sens Unik. Ensuite, avec une partie de Silent Majority nous avons fait des sounds systèmes dans le club londonien Blue Note. A ce moment, nos soirées s’apparentaient surtout à de l’électro jazz avec des éléments drum’n’bass, que nous adaptions.

Comment l’idée de marier le son de la trompette aux effets électroniques est-elle venue ? 

Très tôt, j’ai commencé à mêler la trompette aux autres musiques, notamment dans les groupes jazz rock dans lesquels je jouais à l’adolescence. Vers 14 ans je mettais déjà de la pédale wah-wah, m’inspirant du procédé inventé par Miles Davis, pour apporter plus de nuances à mon son.

©Erik Truffaz.net

Pourquoi avoir ensuite décidé de faire évoluer sur une orientation plus rock sur The Walk of the Giant Turtle ?

Même si l’album est sorti dans les années 2000, le rock faisait surtout références aux racines musicales de mon adolescence. Comme avec le bassiste Marcello Giuliani et le batteur Marc Erbetta nous avons à peu près le même âge, nous partageons cette passion pour les bons groupes de rock des années septante. Nous voulions leur rendre hommage. A chaque nouvel album, nous nous demandons avec les autres artistes dans quelle direction nous voulons aller et effectivement nous nous positionnons en fonction de nos goûts personnels, des expériences musicales que nous avons vécues ou au contraire celles qui nous aimerions inventer ! 

Et justement dans quoi puisez-vous cette imagination ? 

En ce qui concerne les disques produits en groupe, l’inspiration vient surtout du partage avec les autres, c’est-à-dire chacun amène ses idées et nous inventons ensemble. Pour des projets plus individuels, je m’inspire surtout de références historiques, ma pensée artistique part du passé pour aller vers l’avenir. C’est toujours comme ça ! Pour donner un exemple concret, au mois de septembre 2023 je vais présenter un nouveau projet au Jura suisse, inspiré de la musique baroque du 14ème siècle. 

Quels sont les trompettistes qui influencent votre travail ? 

Tous les artistes que j’écoute m’inspirent, mais mes grandes références sont quand même des artistes du 20ème siècle comme Miles Davis, Chet Baker, Jon Hassell ou encore Paolo Fresu et Enrico Rava. Sans oublier le fribourgeois Matthieu Michel qui est à la base de ma carrière en me faisant reprendre la trompette à zéro !

Vous avez l’habitude de travailler avec d’autres artistes comme le projet In Between en 2010, en collaboration avec la chanteuse Sophie Hunger ou chanteuse Anna Aaron pour El tiempo de la revolucion. Pourquoi ? 

Tout simplement parce que je ne suis pas chanteur ! Mais surtout parce que ce métissage apporte une nouvelle richesse, de la nouveauté au style et une grande vitalité aux morceaux.  Ces artistes, surtout les plus jeunes, apportent du sang frais, tout en nous permettant de nous remettre en question et ne pas s’endormir sur les acquis ! Par exemple, en plus du chant, Sophie Hunger a également inventé la moitié du morceau Let Me Go. Dans d’autres collaborations, nous composons d’abord les musiques et les chanteurs posent ensuite les paroles, comme c’était par exemple le cas avec Christophe. C’est un autre type de collaboration.

Pour poursuivre sur les projets avec d’autres artistes, vous avez laissé la composition de votre dernier album, Lune Rouge, à Arthur Hnatek, batteur d’origine genevoise. Quelles ont été les clés de votre collaboration ?

Nous avions donné carte blanche à Arthur ! Comme il a la moitié de mon âge c’était intéressant de voir ce qu’il peut nous présenter. Arthur nous a ainsi composé des musiques techniquement plus complexes que ce que nous nous imaginions et ensuite nous avons travaillé ensemble pour réarranger quelques mélodies. Cette expérience a donné un bon coup de fouet au Quartet !

©Erik Truffaz.net

Le Erik Truffaz Quartet a été fondé dans les années 90. Comment l’idée d’une formation en quartet est-elle venue ?

Paradoxalement, initialement c’était un quintet, signé par un label suisse. Le premier disque a d’ailleurs été produit par la Radio Suisse Romande ! Mais ayant besoin de plus de liberté et d’espace, la formation de quartet me paraissait plus adaptée. Ainsi est né le Erik Truffaz Quartet en 1997. Nous nous connaissions déjà avec les autres musiciens. Par exemple, avec le batteur Marc Erbetta nous avions fait ensemble des stages à l’AMR, École de Jazz de Genève. J’avais rencontré Marcello Giuliani un peu plus tôt à Montreux et sa capacité de jouer plusieurs bases différentes était très intéressante pour la musique électrique. Finalement, comme je suivais depuis un certain temps le travail au clavier de Patrick Müller, qui est d’ailleurs genevois, je lui ai tout naturellement proposé de nous rejoindre. Ensemble, nous avons sorti notre premier album Out of a dream, sur le label Blue Note Records, et la suite s’est rapidement enchaînée.

Le Quartet a été fondé il y a plus de 20 ans, avez-vous l’impression que votre style a évolué au fil des années, des concerts et des tournées ?

Il n’a pas dés-évolué, ce qu’est déjà un bon point ! Le son a certainement évolué, mais pour la musique, je ne sais pas. Elle est certainement devenue différente, dans la mesure où les premiers disques suivaient surtout les tendances du jazz très traditionnel, alors que le style est bien plus mélangé aujourd’hui.

Sur quel nouveau projet travaillez-vous en ce moment ?

Pour le coup, il sera complètement différent de ce que le public a l’habitude d’entendre ! Le disque, qui sortira début 2023, est entièrement dédié aux reprises de musiques de films, comme celles de Fantômas et Les Tontons flingueurs ou encore des bandes, composées par Ennio Morricone. Le son sera donc proche de la country, du jazz et du rock. Pour ce projet, il y aura toujours Marc Erbetta et Marcello Giuliani, mais nous serons également accompagnés de Sophie Hunger au clavier, Raphaël Chassin à la batterie et le guitariste Freddy Koella, qui a notamment joué avec Bob Dylan pendant deux ans.

Comment appréhendez-vous l’avenir de votre musique, quelles sont les directions dans lesquelles vous allez amener votre public ?

De plus en plus, je me tourne vers les petites formations souvent en duo, comme ce prochain projet avec Marcello Giuliani. En parallèle, j’aime beaucoup les œuvres de format classique, qui est une direction vers laquelle j’aimerais plus me diriger dans les prochaines années. C’est une ouverture sur d’autres univers qui me permet de faire de l’acoustique et m’aventurer sur d’autres sons. J’ai par exemple écrit une pièce pour l’Orchestre national de Lille avec lequel j’ai joué en tant que soliste et récemment me suis produit avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine.

https://www.eriktruffaz.net