Mode
08 septembre 2020

Prada une belle histoire de mode à l’italienne

par Eugénie Rousak


Pourquoi est-ce que le Diable sélectionnerait-il Prada comme la préférence de son style vestimentaire ? Qu’est-ce que ce bijou centenaire cache-t-il de si particulier dans son sac en nylon imperméable et écrase de ses talons aiguilles enjolivés de flammes ? Serait-ce ce côté à la fois anticonformiste excentrique et élitiste raffiné qui distingue la marque des autres Maisons ? Ou ce mélange subtil qui associe à la perfection le bon et le mauvais... goût ?  C’est l’histoire de succès de Prada

Peu de Maisons de mode centenaires peuvent se vanter d’être toujours entre les mains de la famille fondatrice. Prada oui. Mais commençons par le début de cette aventure italienne à l’antipode de ses concurrents. Le point de départ de la légende fashion est tout ce qu’il y a de plus classique. Nous sommes au début du XXe siècle et deux frères, Mario et Martino Prada lancent une petite affaire familiale en ouvrant une boutique dans l’exceptionnelle galerie milanaise Vittorio Emanuele II. Spécialistes de la maroquinerie, ils transforment des cuirs exceptionnels en pièces aussi élégantes qu’uniques. Le talent et la qualité des Fratelli Prada sont rapidement remarqués par une clientèle sophistiquée et l’enseigne devient même le fournisseur de la Maison royale d’Italie six ans plus tard. Sur les cinquantaine prochaines années, l’affaire poursuit un développement constant et aurait pu continuer ainsi. Mais une fureur avant-gardiste portant le nom de Miuccia Prada s’est abattue sur la Maison. Diplômée en sciences politiques, militante du Parti communiste italien, féministe convaincue et étudiante en mime au sein du Piccolo Teatro de Giorgio Strehler, rien ne la prédestinait à devenir créatrice de mode… Sauf peut-être son nom et encore, la Maison s’appelle Fratelli et son grand-père prônait le patriarcat en business. Néanmoins, la petite-fille du fondateur prend les rênes de l’entreprise familiale dans les années 70 pour la mener vers une reconnaissance des codes à l’international, et ce jusqu’à présent.

© Magasin Prada 1913 ©Prada sac à dos ©Prada 1988

Les antipodes de Prada

Avec un parcours atypique, une sensibilité artistique et une intelligence fine, Miuccia Prada se distingue des directeurs artistiques des autres Maisons. D’ailleurs, initialement, elle ne se sentait pas créatrice de Prada et désirait engager un professionnel pour ce poste, heureusement que son mari Patrizio Bertelli, avec qui elle codirige l’affaire, a fini par la convaincre de dessiner quelques modèles elle-même. Et son premier succès était à l’antipode absolu du travail de son grand-père. Loin de la sobriété du noble cuir qui a fait la renommée de la Maison au début du siècle, elle a imaginé un sac à dos en nylon ! Bien plus que la création d’une pièce iconique toujours en vogue, l’italienne a mené une véritable révolution de cette matière. Connue dans les milieux industriels, elle s’est depuis indéniablement invitée dans la sphère fashion, donnant à Prada la conviction que la notion de style n’est qu’un vaste terrain de jeux abstraits. Un collage de tendances et perceptions qui s’adapte aux besoins de son temps.

©Prada F/W 2020

Depuis, la personnalité aux multiples facettes et l’immense héritage culturel de la créatrice guident sa griffe vers des horizons nouveaux et se reflètent dans des pièces à la fois classes et décalées. Parfois dans l’élégance, parfois dans le grunge, de temps en temps dans le kitsch et souvent dans le mariage du bon et mauvais goût, mais c’est toujours dans une effervescence visionnaire de Madame Prada. Cette approche du style est directement déployée dans les nouvelles lignes : prêt à porter femme à la fin des années 80, la gamme pour les hommes six ans plus tard, puis Prada Sport en 1997, suivent les entités dédiées aux cosmétiques, parfums, accessoires, et la liste est encore longue. Au total, pas moins de 15 collections par an sont imaginées par l’italienne ! Mais si Prada se développe dans ces différents domaines et veut séduire sa clientèle, l’objectif de la marque n’est pas de suivre à tout prix toutes les tendances de l’industrie. Le duo Prada-Bertelli décline des collaborations avec les grandes enseignes du mass market, ne lance pas les campagnes pour séduire des générations plus jeunes et elle refuse d’utiliser le travail des artistes pour embellir leurs collections. « Prada est ma propre entreprise, je suis donc responsable de la taille qu’elle a prise. Mais je ne me soucie pas de savoir si je prends plus de part ou non sur le marché. Peu importe, on s’en fout » a déclaré la créatrice au magazine System. D’un autre côté, c’est justement cet anticonformiste à l’univers fashion, qui pousse la marque sur la voie de la création des tendances inédites du style. La Maison aime jouer avec l’innovation des techniques et revisiter les matières oubliées. Qu’est-ce qu’il y a de plus singulier que les aimants intégrés dans les fermetures, les attaches velcro sur les chunky sneaker et les plumes d’autruche du défilé automne-hiver 2017-18 ? Dans ses collections, les coupes géométriques s’amusent avec les paillettes, le minimalisme rencontre l’amas de différentes teintes et motifs, le streetwear se mêle au chic de la businesswomen et l’excentricité des tissus complètent la sobriété des lignes droites. Le trait d’union entre les différences est le symbole de la silhouette Prada. Et même au-delà du style vestimentaire, la recherche et l’opposition se lit dans tout. Par exemple, les parfums. Après les classiques aux notes cuivrées de Prada Amber, la Maison a sorti un éloge aux nuances muscat et caramel Prada Candy avant de créer l’ode à la fraicheur mentholée avec Luna Rosa et ses déclinaisons. Quel bouillon hétérogène !

©Prada F/W 2020

Le savoir-faire à l’italienne et une vision unique de la mode dans l’air du temps font l’ADN de la Maison centenaire. Pour renforcer cette capacité à se réinventer et développer un mélange unique des styles et des genres tout en questionnant les normes de l’industrie, Miuccia Prada a récemment invité le designer belge Raf Simons à la rejoindre dans la création de nouvelles collections. Affaire à suivre…

L’étonnante Miu Miu

Si Prada est l’œuvre de son grand-père, Miuccia Prada a voulu également lancer une marque à elle. Référence à son surnom, Miu Miu a vu le jour en 1993. Si l’enseigne a longuement été considérée comme la petite soeur de Prada, elle a un style qui lui est propre, un mariage à la fois décalé, dévergondé et excentrique ! S’adressant à une clientèle plus jeune et libérée des code vestimentaires, tout en étant aussi chic, la marque est rapidement propulsée par ses égéries, dont Vanessa Paradis et Katie Holmes. Si Miuccia Prada consacre la majeure partie de son temps à sa création, elle a également une autre passion, qu’elle partage avec son conjoint : l’art. Dans la même année 1993, le couple a ouvert Fondazione Prada, qui organisait des expositions dans différents lieux, avant de s’installer à Milan en 2015. De Thomas Demand à Satoshi Fujiwara en passant par David Byrne et Jean-Luc Godard, la liste des artistes est longue.

Moins présente dans la presse people que ses collègues, Miuccia Prada mène l’empire Prada depuis plus de 50 ans déjà. Entre art intellectuel et inspirations contradictoires, elle s’est forgée une véritable notoriété dans l’industrie fashion. Récompensée par le prestigieux Outstanding Achievement Award, cette femme aux multiples talents est surement déjà en train de préparer une nouvelle révolution !

Mini-sac en nylon,
Prada

Baskets Techno Stretch, Prada

Robe imprimée , Prada

Grand sac en toile,
Prada

Lunettes de soleil, Prada

Blouson en tissu,
Prada