Mode
15 janvier 2020

Give me my Burberry, l’histoire du carreau devenu iconique

par Eugénie Rousak


Il n’existait qu’un seul endroit qui aurait pu voir naître un trench imperméable et résistant aux intempéries, le Royaume-Uni. Smog au quotidien, journées brumeuses et pluies fines incessantes caractérisent l’Albion de l’autre côté de la Manche. C’est donc dans cette atmosphère pluvieuse de révolution industrielle, que débute l’histoire du tailleur britannique Burberry au milieu du XIXe siècle. Installé dans une bourgade au sud de l’Angleterre, la Maison était loin des codes de la mode et de son image glamour actuelle. Praticité, confort et progrès étaient alors ses maitres-mots.

La création de la Maison est un délicat mélange entre la météo britannique, l’état de santé en dégradation de son fondateur et beaucoup d’ingénuité de ce dernier. Souffrant de rhumatismes, Thomas Burberry ne doit plus porter des vêtements en caoutchouc, car ils ne laissaient pas le corps respirer. Et le problème est de taille ! A l’époque, ce sont les seuls qui protègent de l’humidité. Le jeune drapier de 21 ans ouvre alors sa première boutique en 1856 avec un seul objectif : créer des vêtements pratiques et adaptés aux activités favorites des britanniques en plein air telles que la pêche ou la chasse. Dans une expérimentation perpétuelle et amélioration constante des tissus, il parvient, 25 ans plus tard, à réaliser l’impossible. Il élabore une étoffe qui regroupe toutes les caractéristiques du trio gagnant :  l’imperméabilité, la résistance au froid et surtout la capacité à laisser la transpiration s’évaporer. Grâce à son tissage serré, la gabardine, un nom Shakespearien, révolutionne définitivement le confort des britanniques. Tailleur visionnaire et homme d’affaires, il dépose un brevet sur cette technologie en 1888.

©Burberry, L’évolution du Trench Coat

Une voie royale vers la capitale se trace alors devant Thomas Burberry, qui transforme sa fabrique régionale en une prestigieuse boutique « Burberrys of London ». Telle son emblème du brave Equestrian Knight en armure de protection (et pas seulement contre la pluie), la Maison se propulse au-delà des côtes britanniques, propageant ses hauts standards de qualité et ses tissus novateurs.

Habits d’exploration et de guerre

Alors que les grandes Maisons de mode habillent les stars hollywoodiennes à cette époque, Burberry vise une clientèle différente, mais toute aussi reconnue : les aventuriers et les grands voyageurs. Que cela soit l’explorateur norvégien Fridtjof Nansendans le grand froid du cercle arctique ou le général de brigade Edward Maitland durant son voyage record en montgolfière, le capitaine Roald Amundsen, premier homme à atteindre le pôle Nord ou encore l’alpiniste George Mallory durant son essai d’ascension du Mont Everest en 1924, tous se protégeaient des intempéries dans la fameuse gabardine. Leurs exploits, qui frôlent les limites des capacités humaines, sont directement associés à la marque. Une façon aussi démonstrative que convaincante de prouver la qualité et la résistance de ses habits, élaborés expressément pour des situations difficiles.

Images d’archives, ©Burberry

Alors que l’Europe plonge dans la Première Guerre Mondiale et que de nombreux couturiers doivent mettre la clé sous la porte, Burberry saisit cette nouvelle opportunité. D’ailleurs, c’est surement la plus grande occasion de son histoire. Reconnue pour être la grande favorite des généraux britanniques avec le manteau Tielocken, la Maison se voit confier une mission de taille. Habiller l’armée britannique ! Loin des tuniques flambant rouges datant de l’époque coloniale, Thomas Burberry adapte avec justesse son modèle phare aux exigences de la guerre moderne : couleur neutre, boucles en D pour le port de grenades, rabat sur la poitrine pour protéger le cœur, épaulettes pour facilement suspendre l’équipement ou le casque et les bavolets pour faciliter l’écoulement d’eau. Bref, une osmose entre praticité et résistance. Cette description vous est très familière ? Oui, c’est l’emblématique Trench-Coat Burberry, littéralement le manteau des tranchées. Outre la grande popularité de cet habit au front, il joue le rôle fondamental pour la popularisation de la marque. Rentrant des combats, les soldats continuent de le porter en ville, propulsant la marque auprès de la population civile.

Finalement, c’est Édouard VII qui dira la fameuse métonymie : « Give me my Burberry ! » (Donne-moi mon Burberry)

« Maybe it’s because I’m a Londoner »

L’esprit british est à son apogée dans les années 1920 avec la création de l’indémodable motif Nova Check de Burberry. Ce tartan, mélange géométrique de quatre couleurs, le beige, le noir, le blanc et le rouge devient une véritable marque de fabrique de la Maison. Un signe distinctif, souvent copié, jamais égalé. Utilisé comme doublure, cet emblème du chic à l’anglaise transforme le manteau pratique et résistant des soldats en un habit de luxe, dont les lignes élégantes et les finitions impeccables tracent une délicieuse silhouette.

Alors que Burberry est au sommet de la reconnaissance et suscite l’admiration, son fondateur s’éteint à l’âge de 90 ans, laissant son empire aux carreaux à ses deux fils. La success story pourrait s’arrêter à ce moment, mais le stipule le chevalier du logo, il faut toujours aller « Prorsum » (en avant, en latin). Sous l’impulsion Thomas Newman et Arthur Michael, la Maison continue son expansion, notamment avec la création de l’uniforme pour les pilotes, l’apparition de la ligne femme des trenchs et l’obtention du fameux Royal Warrant. A cette époque, un manteau exporté sur cinq est signé Burberry !

C’est l’année 1955 qui marque un changement fondamental pour la Maison, qui est vendue à Great Universal Stores (GUS), quittant ainsi la famille fondatrice. C’est également à cette période, que Burberry commence à séduire les célébrités de l’autre côté de l’Atlantique. Signe d’élégance et chic, le trench est porté par Marlène Dietrich et Humphrey Bogart, s’invitant même sur le grand écran. Après la sortie du film Breakfast at Tiffany’s la marque s’éloigne définitivement de l’habilement militaire pour devenir une pièce distinguée de fioriture que toutes les femmes s’arrachent. La gamme s’élargit à d’autres pièces, parmi lesquelles les costumes, les chemises et même les écharpes et les casquettes. Difficile de prédire que ce sont justement ces accessoires qui vont pousser le noble chevalier dans l’enfer. Le même sort, que la pochette Louis Vuitton ou le polo Lacoste, attend l’imprimé. Très convoité parmi les chavs, autrement dit des hooligans, il se construit une réputation catastrophique, directement associé aux bagarres et problèmes de loi. Nous sommes bien loin des salons du 5 o’clock tee et des courses de chevaux ! L’image de la Maison se ternie, au moment où la contrefaçon est à son apogée.

©Burberry, Campagne Automne Hiver 19/20

Remonter la pente et regrimper sur l’olympe après un tel fiasco est difficile, mais les décisions stratégiques et novatrices sont payantes. La CEO Rose Mary Bravo recrute des équipes de professionnels. Alors que Kate Moss pose devant l’objectif, un coup de jeune est donné aux créations d’abord par Roberto Menichetti puis Christopher Bailey. Jouant avec les différentes collections telles que Burberry Prorsum (haut de gamme), Burberry Brit (ligne jeune), Burberry London (plus abordable) ou encore Burberry Enfant, la marque se concentre sur ses principes fondateurs : progrès et qualité. Pour la première fois depuis 100 ans, le trench se décline en cinq nouvelles couleurs, en plus des deux basiques. La clientèle aristocratique et aisée revient dans les 500 boutiques de la marque, qui a multiplié ses ventes par cinq depuis 2001. Redorant ses lettres de noblesse, Burberry a également misé sur une digitalisation inédite dans le milieu de la mode, avec le concept de « Tweetwalk », des défilés en live-streaming dans toutes les boutiques et les collections disponibles en 3D, pour n’en citer que quelques-uns.

Burberry est une histoire longue d’un siècle et demi de péripéties, d’envols en montgolfières et de descentes chez les hooligans. Connaissant le temps britannique, la Maison a surement été fondée un jour de pluie et a fini par progressivement séduire les explorateurs, les militaires et les célébrités, imposant ses codes british et dictant son style à l’anglaise.