Mode
25 mars 2020

Balenciaga, le phœnix de la mode

par Eugénie Rousak


Il est difficile d’imaginer que la trapézoïdale robe Babydoll, le cloué it bag Motorcycle et la chunky sneaker Triple S puissent avoir quelque chose en commun. Univers, styles, créateurs, tous les oppose. Et pourtant, ces pièces emblématiques ont contribué à la renommée d’une seule marque : Balenciaga ! Si les dernières collections sont aujourd’hui sur le devant de la scène, l’histoire de cette Maison centenaire n’a pas toujours été aussi lisse que le gazar. Après le succès pharamineux de son créateur, elle a failli rester à jamais un souvenir des années 50. Mais tel un phœnix, Balenciaga a su renaitre de ses boléros pour étinceler sur les podiums.

Né en 1895 dans le Pays Basque espagnol, le jeune Cristóbal Balenciaga aurait très bien pu devenir marin comme son père ou prêtre comme son oncle. Mais le jeune homme s’est destiné à une toute autre carrière, suivant les traces de sa mère couturière. Bien qu’il ait suivi un apprentissage et travaillait pour un magasin de mode, Cristóbal Balenciaga était surtout un autodidacte de génie. Sa méthode ? Acheter des pièces signées Elsa Schiaparelli, Madeleine Vionnet ou encore Coco Channel pour les découdre, analysant l’assemblage, étudiant les coupes et apprenant l’architecture des vêtements. A la fois étonnant et efficace, ce procédé lui vaudra d’être qualifié par Mademoiselle de « couturier dans le vrai sens du terme, capable de couper lui-même les matières, d’assembler une création et d’en faire les coutures », les autres n’étant que des créateurs de mode. Tel un architecte, le jeune espagnol commence à construire ses premiers vêtements et sera possédé par la haute couture jusqu’à sa mort.

Entre l’Espagne et la France

Alors qu’il a à peine 25 ans, Cristóbal Balenciaga ouvre sa première Maison à San Sebastián, puis à Barcelone et à Madrid. Le succès est immédiat, il habille même la famille royale ! Cette apothéose aurait surement dû durer de longues années, mais le destin le conduit ailleurs. Alors que la guerre éclate dans le pays en 1936, le jeune espagnol fuit son pays natal, laissant derrière lui ses maisons de mode, ses ateliers, ses clientes fidèles et ses rêves. Il en faut bien plus pour briser le talentueux couturier, et tel un phœnix il se réinvente dans la capitale française. Posant ses valises au numéro 10 de l’avenue George V, il tire sa revanche en envahissant Paris de broderies et dentelles avec sa première collection, inspirée de la Renaissance espagnole, de capes directement sorties des arènes de corrida et de robes Infanta si chères au peintre espagnol Diego Velázquez. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale conduit à la fermeture de nombreuses boutiques parisiennes, le génie espagnol résiste. Jouant de nouveau avec son destin, il profite de la pénurie de tissu pour retravailler ses coupes et créer de nouvelles formes avec moins de matières premières. Sous les gestes aussi délicats que déterminés de ses ciseaux, sortent les nouvelles tendances minimalistes de la mode. Tel un architecte, il retravaille ses modèles pour donner un nouveau ton à la construction des vêtements, minimisant le nombre de coutures. Bien loin du New Look de Dior, la femme Balenciaga est libre dans ses mouvements, enveloppée dans des formes amples et bouffantes.

Les collections des années 50 confirment cette envie de déconstruction avec des modèles qui enlacent le corps dans les formes géométriques sans le serrer. Dans les tailleurs semi-ajustés, les vestes ballon, les Baby Doll et les robes-sac, la nouvelle silhouette de la femme triomphe dans le monde. Mais cette révolution espagnole ne s’arrête pas sur des modèles inédits, Cristóbal Balenciaga étant un véritable apiculteur d’étoffes. Dans les années 60 il s’associe avec le suisse Gustave Zumsteg pour créer deux tissus très particuliers : le gazar et le zagar. Aussi brillantes qu’impertinentes, ces matières aériennes permettent d’imaginer des formes inédites. Tel un sculpteur, l’espagnol taille dans ces étoffes pour dompter les tissages serrés et construire des pièces avant-gardistes. Et ces modèles aux formes surréalistes connaissent un succès sans précédent ! De vraies tornades stylistiques portées par Marlène Dietrich, Ingrid Bergman, Jacqueline Kennedy, Elizabeth Taylor, Grace Kelly ou encore les hôtesses d’Air France, pour qui le couturier a imaginé l’uniforme en 1968 ! Alors qu’il est au sommet de son empire abstrait et conceptuel, Cristóbal Balenciaga sent l’arrivée massive du prêt-à-porter. Ne voulant pas assister à une dégradation de la haute couture si chère à ses yeux, l’espagnol préfère fermer ses maisons à Paris, Madrid, Barcelone et Saint-Sébastien et se retire en 1968.

La descente et l’envol

Après la mort du maitre en 1972, la Maison est prédestinée au même sort. Abandonnée durant quinze ans, elle est finalement rachetée par le groupe Jacques Bogart. D’abord très discret, le phoenix retrouve progressivement son ancien plumage avec l’arrivée en 1997 du styliste français Nicolas Ghesquière qui commence par la ligne de prêt-à-porter « Le Dix », référence à l’adresse parisienne pour très vite reprendre l’ensemble de la création. Il revisite les modèles de Cristóbal Balenciaga, tout en les modernisant et les adaptant au 21e siècle. Alors que la marque passe sous la direction du Groupe Gucci/PPR, le directeur artistique lance les lignes de chaussures, de prêt-à-porter homme et les sacs. Le fameux modèle « The First » en cuir souple aux clous en laiton vieilli, va être vu porté aux bras des peoples, il est donc instantanément relayé au titre de it bag, suivront deux autres modèles le « Giant » et le « City ». Après avoir réveillé la marque de son sommeil profond, Nicolas Ghesquière s’est attaqué à la parfumerie. La Maison avait déjà sorti quelques délicieuses essences, dont le fameux Dix en référence, du temps de Cristóbal, mais Nicolas Ghesquière insuffle un vent de modernité dans les flagrances. D’abord parait Balenciaga Paris aux notes de violette, délicatement porté par sa muse Charlotte Gainsbourg, puis Florabotanica, un véritable jardin secret présenté par Kristen Stewart alias Bella Swan dans Twilight. Alors qu’il quitte la Maison en 2012, son successeur Alexander Wang, continue la lignée durant trois ans, avant d’être remplacé par l’excentrique Demna Gvasalia. Un vent de folie qui touche alors la Maison !

Demna Gvasalia revisite Cristóbal Balenciaga

Tout se transforme : la garde-robe, l’ambiance des défilés, les égéries ! Si les principes fondateurs des lignes géométriques, des tissus spéciaux ou des silhouettes sont gardés, leur interprétation est désormais contemporaine, voire excentrique. Les cols surélevés, les volumes exagérés, les couleurs flashy et la logomania à son apogée, telle est la nouvelle tendance de Balenciaga. Avec audace et créativité, Demna Gvasalia revisite les vêtements et accessoires les plus anodins pour jouer avec son public. Les crocs surélevés, les cabas IKEA ou les vieilles chaussures d’athlétismes appelées fièrement Triple S, la liste est longue.

Créée il y a plus d’un siècle, Balenciaga a révolutionné la mode parisienne par ses formes surréalistes et ses matériaux uniques. Cent ans plus tard, la Maison est tout aussi avant-gardiste, lancant l’Ugly-beautiful et s’imposant indéniablement dans le streetwear.

«Un bon couturier doit être : architecte pour les plans, sculpteur pour la forme, peintre pour la couleur, musicien pour l’harmonie et philosophe pour la mesure» Cristóbal Balenciaga