LifestyleSwissness
17 août 2021

Millefeuille en inox

par Eugénie Rousak


L’histoire du couteau suisse, symbole helvète

Si l’histoire des objets coupant nous ramène aux hommes préhistoriques, le couteau en métal, lui, est apparu durant l’âge du bronze. Depuis, de nombreuses variantes, allant des baïonnettes aux poignards en passant par les canifs et les serpettes ont émergé.

Mais pour débuter l’épopée du couteau suisse, il faut faire un bond à travers les siècles pour s’arrêter dans la seconde moitié du XIXe. Pourquoi cette période précise ? A la fin des années 1800, l’armée suisse utilisait le fusil Vetterli, pour lequel les soldats avaient un certain nombre d’outils éponymes. Avec son remplacement par le fusil Schmidt-Rubin en 1889, les besoins des outillages à porter en permanence sur soi changent. En parallèle, l’industrie alimentaire connaît également une progression avec un développement rapide des conserves, qui permettent de préserver et protéger les denrées plus longtemps. Mis ensemble, ces deux problématiques conduisent à une solution : l’armée suisse a besoin d’équiper ses troupes d’un couteau de poche polyvalent, capable aussi bien d’ouvrir les boîtes et que de démonter les armes.

Objet multifonctions de John S. Holler et l’armée suisse en 1889 ©swisswaffen

Né à Schwyz, je vis dans le monde entier. Ma première grosse production a débuté il y a 130 ans et aujourd’hui nous sommes plus de 500 millions. Je suis aussi bien dans le Guinness Book que dans l’espace. Généralement je me revêts de rouge, mais souvent j’essaye des robes différentes. Je suis surement le soldat helvétique le plus connu. Qui suis-je ? Le couteau suisse, évidemment !

L’idée d’un outil multifonctions existe déjà. En 1880, l’allemand John S. Holler en a même confectionné un avec 100 fonctionnalités différentes. S’y sont ainsi alignés des ciseaux, un tire-bouchon, une scie, différentes lames et même un revolver. Bien entendu, le modèle militaire n’avait pas besoin d’être aussi complet et donc aussi lourd et encombrant. Seules quatre fonctions étaient fondamentalement nécessaires aux troupes : une courte lame, un ouvre-boîte, un tournevis plat et un poinçon. Le tout coffré entre deux coques en bois. Malheureusement, l’industrie helvétique n’est pas dans sa meilleure forme à cette période et aucune manufacture ne peut accepter un projet aussi important avec une production de 15 000 pièces à la clé. La commande de celui qui a été nommé Modèle 1890 traverse donc la frontière et passe entre les mains du fabricant allemand de couteaux Wester & Co. à Solingen. L’évolution du couteau de poche aurait ainsi pu se dérouler outre Rhin, mais si nous parlons aujourd’hui du couteau suisse, c’est parce qu’il y a eu la volonté d’un homme de modifier le cours de l’histoire. Son nom est Karl Elsener. S’il n’évoque rien, le nom de sa société, Victorinox, est sûrement une référence bien plus parlante. Mais n’allons pas trop vite.

Le relais d’Ibach

Nous sommes encore en 1890. Karl Elsener I, qui a un petit atelier de coutellerie dans le canton de Schwyz, décide de s’associer avec ses collègues pour créer l’Association suisse des maîtres couteliers. Ensemble, ils pourront confectionner assez de pièces pour accepter la commande de l’armée suisse ! L’industriel retravaille donc le modèle initial en y introduisant une innovation qui sera fondamentale pour l’ensemble des pièces futures : l’utilisation des deux côtés du manche grâce à un ingénieux système de ressorts. Cette nouveauté permet donc de facilement glisser deux outils supplémentaires entre les deux faces, un tire-bouchon et une petite lame. Ainsi, en 1897, Karl Elsener dépose son brevet pour son « couteau d’officier suisse et de sports ». L’histoire est lancée.

Karl Elsener I ©Victorinox
Couteau suisse 1897 ©Victorinox

Couteau d’officier suisse

Ne se reposant pas sur ses lauriers, il travaille sans cesse pour modifier et améliorer son bijou militaire, exemple de précision et de qualité suisses. Par exemple, en 1921, il décide d’utiliser l’acier inoxydable pour ses couteaux, les rendant plus durs et résistants à la corrosion. Ce perfectionnement a également influencé le nom de l’entreprise, complétant le prénom de la mère du fondateur, Victoria, par cette référence au métal, inox. Victorinox est ainsi né. Mais l’entreprise ne reste pas en position de monopole très longtemps. D’autres marques, comme notamment son grand concurrent Paul Boechat & Cie (oui, c’est celui qui deviendra Wenger & Co. en 1908), s’invite librement sur ce marché. La concurrence est si rude, que le gouvernement suisse doit même intervenir. Il impose à l’armée de commander chez les deux sociétés en même temps ! Côte à côte, les deux entreprises fabriquent donc le couteau vert ou gris (le fameux rouge est réservé aux civils) distribué à toutes les nouvelles recrues en même temps que leur arme, avec la fière inscription KMV, Kriegsmaterialverwaltung, autrement dit l’Intendance du matériel de guerre sur le poinçon. Pour terminer cette histoire de rivalité, la querelle longue d’un siècle sera finalement résolue en 2005. Victorinox a racheté Wenger. Et en 2008, Victorinox a reporté un nouveau contrat pour continuer à fournir l’armée suisse de son Modèle 08. L’histoire entre le militaire suisse et Victorinox n’est pas prête à s’arrêter.

Le Swiss Army Knife

Si l’armée helvétique a pu apprécier le côté pratique de leur couteau de poche durant des années, il faut attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’il parte à l’ascension du monde. Nommé avec éloquence Swiss Army Knife ou SAK pour les intimes, il s’invite progressivement dans les corps militaires des autres pays. Par exemple, il est également distribué au sein des armées des États-Unis, de l’Allemagne ou encore de la Malaisie. Même les astronautes de la NASA l’utilisent. Le gadget d’Ibach survole notre planète à une vitesse stratosphérique !

©Victorinox

Et au-delà

Nul besoin d’être militaire pour avoir son couteau de poche. Le compagnon des soldats est depuis longtemps devenu une marque internationale, accessible à tous. « Ceux qui sont prêts à tous les défis l’emportent toujours avec eux » comme dit Victorinox ! Et en effet, des présidents américains aux scoots aventuriers, en passant par Angus MacGyver de la série McGyver ou encore le personnage de Matt Damon dans Seul sur Mars, les lames suisses ont la côte dans le monde entier. D’ailleurs, sans grande surprise que Victorinox a produit son 500 millionième couteau suisse original en 2017 ! Pour continuer un peu plus sur des chiffres : les modèles classiques sont assemblés en 3 minutes seulement, alors que la gamme actuelle se compose de près de 400 pièces différentes, pouvant être équipés de 80 fonctions différentes. Au cours de son histoire, le couteau suisse n’a cessé de se réinventer au gré des besoins de ses utilisateurs et des évolutions de son temps. Ainsi, certains exemplaires sont agrémentés d’une clé USB, d’un pointeur laser, d’un petit écran digital ou sont même fabriqués avec des capsules Nespresso recyclées. Mais malgré cette diversité, le plus vendu reste le Classique avec sa petite lame, ses ciseaux, sa lime à ongles, son cure-ongles, son cure-dents, ses pincettes et finalement son anneau. Sept en tout.

Pour la petite anecdote, le maximum d’outils mis sur une pièce d’une collection limitée est de 87, regroupant ainsi un total de 140 fonctions. Ce bijou industriel pèse 1,4 kilogrammes ! Au niveau des couleurs et textures, le choix s’est également diversifié au cours du temps ! Si la coque rouge reste le grand classique, le couteau suisse se décline aux seules limites de l’imagination. Sans oublier de mentionner les éditions spéciales qui fleurissent bien plus souvent que les collections haute-couture printemps-été et automne-hiver!

Carl Elsener III ©Victorinox
Boutique Victorinox à Zürich

Ainsi en 130 ans d’histoire, la petite usine d’Ibach s’est fièrement dressée au rang des grands, propulsant son couteau de poche au sommet de sa gloire. Une renommée internationale pour ces quelques centimètres Swiss Made. Le pari était pourtant loin d’être gagné en 1891, mais la famille Elsener, toujours à la tête de l’entreprise, a su la faire évoluer au fil des générations. Sortant des instruments militaires, les couteaux suisses sont aujourd’hui devenus de véritables objets de convoitise et de design, exposés au MoMA de New York, au Musée du design de Londres ou encore à la Neue Sammlung de Munich !

Et même au-delà de la sphère artistique, la réputation est si importante que l’on peut même qualifier une personne de couteau suisse, vantant son efficacité et sa polyvalence ! Pas tous les objets ont une expression qui leur est propre !

Couteau suisse classique, Victorinox

Edition limitée 2021, Victorinox

“Place to be”, Victorinox

Classique Camouflage, Victorinox

Edition limitée 2021, Victorinox

Swiss Champ XXL, Victorinox

Farmer X Alox, Victorinox