Horlogerie
20 juin 2023

Patek Philippe : de l’exil à la souveraineté horlogère

par Eugénie Rousak


Si le nom de Patek Philippe est aujourd’hui associé à l’excellence de la fabrication et la prouesse technologique, son histoire est tourmentée, guidée par l’audace de Patek, Czapek, Philippe et Stern.

Symbolisme de l’ordre de chevalerie espagnol du XIIe siècle, le savoir-faire ancestral mélangé à l’avant-gardisme français, l’audace d’un exilé polonais sur des terres inconnues et une implantation genevoise depuis toujours, tels sont les fondements de l’une des plus emblématiques maisons horlogères.

Si l’absence de la virgule entre Patek et Philippe peut aujourd’hui prêter à confusion sur le nom du fondateur de la Maison, elle existait bel et bien au début. Et d’ailleurs, à l’origine le nom de Patek était séparé de Czapek par cette même virgule. Et si aujourd’hui la marque est entre les mains de la quatrième génération de la famille Stern, ce nom n’a finalement jamais été rajouté avec une virgule. Je vous ai perdus ? Revenons au début du XIXe siècle.

Philippe Stern (président d’honneur) et Thierry Stern (président) © Patek Philippe

Entre Antoni, Franciszek et Philippe

En juin 1812 en Pologne nait le petit Antoni Norbert Patek. Alors que sa famille fait partie de la petite noblesse, le décès de son père en 1927 bouleverse le quotidien du jeune Antoni, contraint de contribuer financièrement aux charges familiales. Il prend ainsi part à l’insurrection de Novembre, qui oppose le peuple polonais à la tutelle russe. Malgré plusieurs blessures, il en sort vivant et obtient même la plus haute distinction militaire. Mais Antoni doit fuir son pays natal. D’abord en Prusse, puis en France, il s’installe finalement à Genève et commence tout naturellement à s’intéresser au travail des maîtres-horlogers. Il francise également son nom pour être désormais appelé Antoine Norbert de Patek.

En 1811 dans le royaume de Bohême, territoire de la République Tchèque actuelle, nait Franciszek Czapek, avant de rapidement déménager en Pologne avec sa famille. Également pris dans le tournant de la guerre, il trouve finalement refuge en Suisse. Modifiant son prénom en François, il s’associe avec un certain Moreau pour sa première entreprise horlogère. Aux parcours de vie en copié/collé et une passion commune pour l’industrie phare de leur ville d’adoption, Antoni et Franciszek, enfin Antoine et François, se rencontrent tout naturellement pour finalement s’associer sous le nom de Patek, Czapek & Cie.

Se spécialisant sur des pièces très rares et uniquement disponibles à la commande, l’atelier produit près de 200 garde-temps chaque année. Le point de départ d’une maison familiale et presque bicentenaire aurait pu être celui-ci, mais l’histoire ne connaît pas le conditionnel. Alors que tout les unissait, la collaboration se termine en 1844. Un contrat de six ans uniquement ou beaucoup trop de tentions et discordes pour continuer ? Peu importe les raisons, chacun décide de suivre sa propre route … François Czapek fonde Czapek & Cie avec un autre polonais. Si sa Maison se crée une véritable place dans le monde de l’horlogerie (et oui, il devient même l’horloger officiel de Napoléon III !), à la mort de son fondateur dans les années 1870 elle tombe progressivement dans l’oubli. Il a fallu attendre l’année 2015 pour qu’un trio de passionnés, Xavier de Roquemaurel, Harry Guhl et Sébastien Follonie, commencent à redorer ses lettres de noblesse de la cour impériale. Mais c’est une autre histoire, revenons en 1851. Cette année marque le début de l’histoire de Patek, Philippe & Cie – Fabricants à Genève. Mais qui est ce fameux Philippe, qui ouvre ainsi le second chapitre de la Maison ?

Avant-gardisme de la couronne

En 1844 Antoine Patek se rend à Paris sans savoir que ce voyage donnera une direction nouvelle à toute l’industrie des garde-temps. Sur place, il fait la rencontre d’un certain Jean-Adrien Philippe, un horloger français avant-gardiste qui travaille sur un mécanisme révolutionnaire pour l’époque : le remplacement de la clé de remontage par une petite couronne directement intégrée à la montre à gousset. Trois brevets sont alors déposés pour cette prouesse technologique que nous connaissons encore aujourd’hui ! Tous deux envoûtés par cette envie de créer des pièces uniques, mariant la plus grande qualité à l’innovation technique, les deux hommes décident de s’associer en séparant leurs noms par la fameuse virgule. Et cette collaboration est un véritable succès, propulsant la Maison polo-franco-genevoise des cours royales européennes aux poches des papes de l’époque. Si leurs pièces se retrouvent dans les collections de reine la Victoria, James Ward Packard ou encore Albert Einstein, le duo n’oublie pas l’ADN de la manufacture : l’esprit d’innovation. Et les brevets fleurissent. La Maison en compte plus de 70 depuis 1845 ! Parfois les complications viennent du génie technologique de Patek Philippe, comme le régulateur de précision, mécanisme du quantième perpétuel ou encore le double chronographe, parfois elles sont dictées par la demande, comme l’apparition de montre-bracelet pour homme. Si l’attachement autour du poignet était surtout réservé aux femmes, les besoins de la guerre poussent la manufacture à développer une toute nouvelle gamme pour les hommes. Dans cette quête de praticité mêlée à la technologie naissent par exemple le chronographe-bracelet à rattrapante en 1923 ou une montre-bracelet avec quantième perpétuel deux ans plus tard.

Brevets régulateur de précision (1881) et mécanisme de quantième perpétuel (1889) | Le premier chronographe-bracelet à rattrapante (1923) et la première montre-bracelet avec quantième perpétuel (1925) © Patek Philippe

A cette même époque, la manufacture genevoise installée au Grand-Quai (aujourd’hui quai Général-Guisan) reçoit la commande d’une pièce d’exception : la montre la plus compliquée au monde. Trois ans de recherches et deux ans de confections seront nécessaires pour les 24 complications demandées par Henry Graves. Elle sera finalisée en 1933 et pendant plus d’un demi-siècle ce record ne sera pas dépassé. Mais quelle audace ! Sur un terreau aussi propice à la créativité, l’avenir semble tout tracé pour cette Maison, mais la réalité n’est pas aussi prospère. Patek meurt en 1877, Philippe en 1894. Ce dernier donne une dernière direction à la Maison, en choisissant la croix de Calatrava, comme étant l’emblème de la marque. Si ses formes sont harmonieuses et symétriques, elle symbolise surtout les valeurs de persévérance, de courage et d’indépendance de la chevalerie espagnole du XIIe siècle. Une jolie référence à la philosophie qui a guidé la Maison du temps de ses fondateurs et un viatique pour les prochaines années !

La société est d’abord reprise par Joseph Emile Philippe, fils du fondateur, mais la situation économique mondiale aura raison de la manufacture. Ce second chapitre est ainsi clôturé.

Affaire familiale sans famille d’origine

Rejetant une offre de Jacques David LeCoultre, Patek, Philippe & Cie est finalement rachetée en 1932 par les frères Stern. A l’époque, ils étaient déjà à la tête d’une manufacture de cadrans haut de gamme à Genève. Si rajouter une virgule au nom de l’enseigne aurait pu être tentant, ils ont préféré au contraire le simplifier. C’est ainsi que Patek Philippe SA est depuis redevenue une affaire familiale, même si les familles des fondateurs ne sont plus dans sa direction. Commençant par une réorganisation de la production, les Stern ont mené la pépite horlogère vers de nouveaux sommets, tout en perpétuant les histoires et émotions qui font la marque. D’ailleurs, la campagne lancée dans les années 90 accentue justement cette importance de patrimoine et valeurs avec la devise : « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien, pour les générations futures ». Mais justement quelle Patek Philippe ?  En quatre générations de Stern, la Maison n’a cessé de lancer des modèles iconiques, qui continuent de faire sa renommée, comme la Golden Ellipse en 1968, la sportive chic Nautilus huit ans plus tard, les Aquanaut et Gondolo dans les années 90 ou encore la Twenty~4 en 1999. Mais si les succès fleurissent, la Maison n’oublie pas l’ambition sans limites de ses fondateurs et continue de repousser les frontières du possible. Pour commémorer ses 150 ans, Henri Stern avait lancé Calibre 89. Neuf ans de travail et 33 complications pour un poids de près d’un kilogramme ! Remplacé en 1993 par Philippe Stern, c’est à ce dernier que la Maison doit son passage à la vitesse supérieure. Regroupant la production dans un bâtiment à Plan-les-Ouates, la marque centralise son savoir-faire ancestral tout en marquant son attachement fort à la ville qui l’a vue naitre. Le début du XXI siècle va également marquer les nouvelles recherches de la Maison, que cela soit l’utilisation d’un dérivé du silicium en 2005 ou le lancement de Oscillomax, un nouvel organe régulateur six ans plus tard. Si les moyens l’auraient permis, la société préfère garder une croissance organique du nombre de pièces produites par année pour justement conserver une qualité maximale. Le ton pour la suite est donné !

La première Nautilus (3700/1) en 1976 | La Nautilus en 2022 (7118/1300R), toujours un classique de la Maison © Patek Philippe

Pour commémorer les plus belles créations et relater son histoire de 175 ans, la Maison a notamment présenté une collection de montres commémoratives. D’ailleurs, dans cette optique de conservation de son patrimoine, la Maison a ouvert en 2001 son musée au cœur de Genève. Organisé sur quatre étages, il permet de retracer toute l’histoire de l’horlogerie à travers près de 2000 pièces, tout en découvrant les garde-temps emblématiques de Patek Philippe. Vous pouvez lire notre article sur le musée par ici.

Musée Patek Philippe © Patek Philippe

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