Beauté
28 août 2018

Olivier Cresp – Maître-parfumeur, ses notes de coeur à celles de fond

par Laëtitia Cadiou


Parfumeur de renom, Olivier Cresp a été plongé dans l’univers des parfums depuis sa plus tendre enfance. Né à Grasse dans une famille de cultivateurs de rose et de jasmin, il a fait travailler son odorat et sa mémoire olfactive dès son plus jeune âge.

En 1992, il intègre la célèbre société suisse Firmenich et reçoit le titre de Maître Parfumeur en 2006. Angel de Thierry Mugler, L’Eau Aquadisiac de Kenzo, ou encore Midnight Poison de Dior constituent ses nombreux succès. Puisant son inspiration dans ses souvenirs d’enfance, chacune de ses création est pour lui un véritable défi. C’est l’occasion d’en apprendre plus sur ses notes de coeur pour finir sur celles de fond.

NOW : Issu d’une famille de cultivateurs de rose et de jasmin vous avez été bercé dans l’univers des senteurs dès votre plus jeune âge. Cela a-t-il été une évidence pour vous de devenir Maître Parfumeur ?

O. Cresp : La parfumerie est un héritage de ma famille grassoise. Elle s’inscrit dans notre ADN. Mes arrière-grands-parents cultivaient les fleurs, mes parents et grands-parents étaient négociants en matières premières naturelles pour la parfumerie. Dès mon plus jeune âge, j’ai appris à distinguer et à connaître toutes les subtilités de leur signature olfactive avant d’être initié à l’art de les assembler pour composer un parfum. Ma voie de parfumeur a été tracée le plus naturellement du monde.

C’est ensuite mon parcours chez Firmenich qui m’a permis d’accéder au titre de Maître Parfumeur en 2006 et de recevoir également de belles distinctions comme la médaille de chevalier des Arts et des Lettres en 2012 et cette année le Lifetime Achievement Award à New York. Tout cela n’était pas une évidence !

 NOW : Auriez-vous aimé faire autre chose ? Si oui quoi ?

O. Cresp : Je me souviens avoir souhaité être parfumeur dès l’âge de sept ans. Je ne me suis jamais écarté de cette ambition d’enfant. Je reconnais malgré tout que si j’étais né ailleurs, je n’exercerais sans doute pas cette profession.

NOW : C’est un métier qui fait rêver. Quel serait aujourd’hui le cursus idéal pour devenir parfumeur ?

O. Cresp : L’apprentissage du métier de parfumeur est très long. Deux écoles offrent aujourd’hui l’opportunité de suivre cette voie ; L’Ecole Supérieure de Parfumerie à Paris et L’ISIPCA, Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire, à Versailles. A l’issue de ces écoles, les jeunes talents ont acquis les bases principales pour démarrer leur apprentissage. Il faut compter en moyenne 10 ans pour mémoriser toutes les matières premières disponibles à notre palette de parfumeur et apprendre à les assembler. Comprendre la composition des grands chefs d’œuvre du marché fait partie de cette formation. Ils pourront alors accéder au titre de parfumeur et commencer à véritablement travailler sur les projets. 

Crédit photo @Dia Dipasupil /Getty Images for The Fragrance Foundation

NOW : Existe-t-il des talents-nés ? Des personnes qui se rendent compte de leur talent ? Qui sont reconnues comme telles?

O. Cresp : La passion est la clé du talent. La chose la plus importante est de conserver sa curiosité, son désir d’apprendre, son ouverture sur le monde. Le talent vient avec beaucoup de travail et de persévérance. Etre reconnu en tant que parfumeur demande beaucoup de temps, un sens de l’humilité et une grande sagesse.

La reconnaissance vient naturellement avec les succès. Elle se manifeste d’abord par le fait que votre talent vous permet de signer de belles créations et se concrétise ensuite par l’enthousiasme des consommateurs. On parle alors de consécration !

NOW : Êtes-vous comme certains d’entre nous à devenir obsédé par certaines senteurs dans la rue ? Êtes-vous parfois tenté de demander le parfum que porte un ou une inconnu(e) ?

O. Cresp : Les odeurs ont toujours été au centre de ma vie, intégrées à mon quotidien. Enfants, nous jouions déjà à reconnaître les matières premières sur les touches que nous présentaient mes parents. Notre maison étaient entourée de champs de fleurs… Alors je ne vis pas cette sensibilité surdéveloppée comme une obsession mais comme une joie quotidienne.

J’aime me considérer comme un sociologiste. J’observe les comportements des consommateurs lorsqu’ils choisissent un parfum, et ceci guide mon travail de créateur. Il n’y a pas de meilleur enseignement pour moi que de comprendre leurs attentes et ce qui les rendrait profondément heureux.

NOW : Avez-vous de temps à autre essayé de retrouver une senteur et de la recréer ? On pense notamment au livre Le Parfum de Patrick Süskind. Quelle est l’odeur que vous ne pourrez sans doute jamais recréer ?

O. Cresp : J’aimerais créer une odeur qui soit universelle, naturelle, pure, presque authentique, qui serait inspirée de la glace.

NOW : Les notes de Patchouli vanillé et le chocolat avec les parfums Thierry Mugler auront été vos senteurs porte-bonheur, quel est votre autre succès selon vous et pourquoi ?

O. Cresp : Light Blue est un autre de mes succès qui m’a beaucoup appris et a été révélateur d’une nouvelle tendance, une évolution du marché vers une proposition universelle. Je me souviens que les tests que nous avions réalisés auprès des consommateurs étaient catastrophiques car le jus ne répondait à aucun critère en matière de féminité. Et pour cause, il a été le premier parfum féminin frais boisé. Depuis, il a conquis de très nombreux consommateurs à travers le monde, tant féminins que masculins et de toutes cultures, de toutes générations. Le magnifique cèdre que j’avais surdosé dans cette création est resté depuis mon talisman !

Crédit photo @Firmenich

NOW : Petit secret : Quel est le parfum que vous auriez aimé créer et que vous portez de temps en temps ?

O. Cresp : Shalimar. J’ai toujours été impressionné par son odeur raffinée et sa nature séductrice.

NOW : Comment pensez-vous que l’on peut trouver son parfum idéal ? J’imagine que le PH de la peau y fait beaucoup.

O. Cresp : Chaque peau réagit différemment au contact d’un parfum. Chaque cas est unique. Je n’ai pas de meilleure recommandation que de l’essayer personnellement et surtout d’y prendre du plaisir !

NOW : Vous avez élaboré les parfums gourmands, j’imagine que vous devez être très sensible à la cuisine, quelle est votre type de cuisine préférée ? Aimez-vous cuisiner ?

O. Cresp : La gourmandise et le goût pour les sucreries est une vraie caractéristique familiale. Mon enfance a été bercée par l’odeur si régressive des gâteaux ! Ma spécialité, très jeune, était le cake aux fruits confits. J’aime les cuisines très parfumées comme la cuisine asiatique.

NOW : Les molécules de synthèse n’ont pas complètement remplacé les matières premières naturelles, mais elles viennent compléter la gamme de fragrances à disposition du parfumeur. Est-il vrai que l’odeur de synthèse est parfois même plus fidèle ? Comme dans le cas de la rose.

O. Cresp : Les technologies et les molécules sont cruciales pour donner un souffle nouveau et une force aux ingrédients naturels. Les uns ne vont pas sans les autres. Synthétiques et naturels se complètent pour atteindre l’harmonie parfaite dans nos créations. On ne les compare pas car les molécules ne sont pas censées remplacer les naturels. Par contre il est extraordinaire de composer une reproduction de la nature à partir des molécules. Je pense au muguet par exemple qui ne peut s’extraire. Lilyflore® et Hivernal® Neo, nos dernières innovations autour du muguet, présentées au salon des matières premières à Nice en juin, en sont de merveilleux exemples. Firmenich nous offre une palette d’ingrédients fantastiques, ce qui permet aux parfumeurs de jouer avec différentes couleurs et sensations. Grâce à cela, nous pouvons créer des parfums uniques et originaux.

NOW : Quel est le taux des matières premières dans un parfum ?

O. Cresp : Tout est possible. Mon style est minimaliste. Personnellement, j’aime les formules courtes et lisibles afin que leur message soit facilement et universellement compris.

NOW : Racontez-nous le processus pour créer un parfum ? quelles sont les étapes ?

O. Cresp : L’histoire de la marque pour laquelle je crée, en premier lieu, me permet d’asseoir la signature dans un contexte, une ambiance, un esprit. Puis intervient l’histoire que le projet raconte et que je vais traduire olfactivement. Vont également intervenir les histoires des matières premières que je choisis de mettre en scène… Elles sont donc multiples à participer à mes créations.

NOW :  Si vous deviez créer un parfum pour une personnalité que vous admirez, qui serait-elle et quelles seraient les notes de ce parfum ?

O. Cresp : Je ne crée jamais pour une personnalité en particulier. Au contraire, je rêve de faire un parfum qui plaise à toutes les personnalités, qui leur apporte du bonheur, du plaisir et avec lequel elles se sentent bien.

NOW : D’où viennent vos inspirations?

O. Cresp : Mon inspiration vient de mes souvenirs, chaque moment d’émotion, les voyages, les matières, les rencontres, les expressions artistiques que j’admire ; un tableau, un opéra ou un plat composé par un chef. Mes sources d’inspiration sont innombrables.

NOW : 16 –  26 ans chez Firmenich, comment expliquez-vous ce mariage parfait ?

O. Cresp : Firmenich m’a fait confiance dès mes débuts en parfumerie et m’a donné l’immense opportunité de travailler dans une maison de création de grande qualité.

Je suis très attaché aux valeurs familiales, à l’héritage culturel, à la transmission. Chez Firmenich, nous partageons cette même passion, notamment grâce à notre engagement dans les matières premières, à Grasse et à travers notre programme Naturals Together. Nous sommes attachés à préserver ce que la nature nous offre, à sécuriser les sources de demain et à améliorer la qualité de vie des producteurs.

Cet héritage est la raison pour laquelle j’accorde une attention toute particulière à mon rôle de mentor auprès des jeunes parfumeurs, ce rôle étant très étroitement lié à mon titre de Maître parfumeur. Voir mon fils suivre mes pas chez Firmenich en tant que parfumeur compte aussi beaucoup à mes yeux.

NOW : Autre petit secret, avez-vous une actualité ou une mission olfactive prochaine à nous dévoiler ?

Oui, il se trouve que je prépare un évènement qui me tient beaucoup à cœur et que nous préparons depuis plusieurs années avec ma fille et mon gendre ; le lancement de notre marque de parfum début septembre !